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Le livre juridique manuscrit (XIIe-XVe siècle)

Anne LEFEBVRE-TEILLARD

Professeur à l’université Paris-II – Panthéon-Assas

Continuité ou rupture ? « Reine des pommes de discorde », comme l’écrivait André Gouron à propos de la France, mais l’observation peut sans peine être généralisée, la question des origines de la science du droit qui se développe à partir du XIIe siècle a vivement divisé la critique historique depuis plus de cent ans. Continuité depuis le Bas-Empire romain d’une certaine culture juridique malgré la disparition des écoles, culture entretenue par l’Église qui « vit sous la loi romaine » et ses clercs ? Rupture qu’attesterait notamment la rareté des manuscrits juridiques passé l’an mil ? Il n’est pas dans notre propos d’entrer dans ce débat1 … Force est de constater néanmoins qu’au XIe siècle « l’oubli des leges », au sens large du terme2, est un fait certain, y compris au sein de l’Église. À l’extrême fin du siècle, la correspondance d’Ives de Chartres témoigne largement du phénomène et de la montée en puissance de la coutume comme source essentielle du droit, une coutume dont la caractéristique principale est d’être orale3. Mais elle témoigne également du souci que les partisans de la réforme grégorienne ont précisément de retrouver les textes législatifs anciens pour soutenir leur entreprise. Eux seuls en effet peuvent permettre, par l’autorité que leur confère leur ancienneté, d’imposer la réforme de l’Église. Ives l’a bien compris : n’est-il pas l’auteur de trois collections de droit canonique, le Décret, la Tripartita et la Panormie qui, pour deux d’entre elles, seront largement utilisées quelques décennies plus tard par Gratien ?

Sans doute est-ce à l’occasion des recherches effectuées par les « grégoriens » qu’a été redécouvert le Digeste, cette vaste compilation de droit romain, composée de milliers d’extraits d’œuvres de jurisconsultes de l’époque classique (IIe s. av. J.-C. – IIIe s. ap. J.-C.), que Justinien, empereur d’Orient, avait fait effectuer au VIe siècle et qui avait été introduite en Italie à l’occasion de la reconquête éphémère (534-556) de cette dernière sur les Goths. Pièce maîtresse d’un plus vaste ensemble, le Digeste fournit déjà à Ives de Chartres quelques textes qu’il insère dans ses collections4. Nous tenons là la première source des manuscrits juridiques que nous allons voir fleurir aux siècles suivants.

La renaissance des écoles qui elles-mêmes donnent, à Bologne, Paris, Oxford, naissance aux premières universités en constitue la seconde5. Dès la seconde moitié du XIIe siècle, on assiste à une première floraison d’œuvres juridiques issues de l’enseignement du droit canonique et du droit romain, les seuls enseignés durant notre période au sein des universités6. Mais le droit est aussi fait pour être appliqué : la pratique, et notamment la pratique judiciaire, est la troisième grande source du livre juridique. Il n’est qu’à voir le nombre des ordines iudiciarii apparus à partir de la fin du XIIe siècle pour s’en convaincre7. N’est-ce point avant tout pour guider les plaideurs que les premiers recueils de droit coutumier verront également le jour au XIIIe siècle ? Et que dire des artes notariae, ces formulaires destinés à guider les notaires dans la rédaction des actes ?

Il ne saurait bien évidemment être question ici de donner un tableau exhaustif de l’ensemble de ces livres juridiques : un volume n’y suffirait pas. Nous avons donc choisi de donner un aperçu des livres juridiques qui ont vu le jour dans le cadre de l’enseignement universitaire. Ce sont les plus nombreux à être conservés dans nos bibliothèques, ceux aussi dont la production, avant l’invention de Gutenberg, a obéi à divers procédés qu’il n’est pas sans intérêt d’évoquer.

LES PRINCIPAUX TYPES DE MANUSCRITS JURIDIQUES

Dans le cadre que nous venons de définir, nous allons rencontrer en premier lieu des manuscrits qui contiennent les textes de droit canonique et de droit romain servant de base à l’enseignement. Les textes de droit romain sont ceux des compilations de Justinien qui forment ce qu’on appelle le Corpus iuris civilis8. Ce sont : le Code divisé en douze livres eux-mêmes subdivisés en titres et contenant des constitutions impériales d’Hadrien († 138) à Justinien († 565) ; le Digeste ou Pandectes, ainsi nommé parce qu’il est composé de cinquante livres également subdivisés en titres ; les Institutes, petit manuel d’enseignement préparé en même temps que le Digeste – composé de quatre livres, il est en grande partie calqué sur un célèbre ouvrage du IIe siècle, les Institutes de Gaius – ; et enfin les Novelles9. Ces dernières sont un recueil des constitutions de Justinien promulguées après la seconde et dernière édition du Code (534) et avant 556. Présentées dans un ordre en principe chronologique, elles avaient pour la plupart été rédigées en grec, mais avaient fait l’objet d’une traduction en latin lorsque, à la demande du pape Vigile (Pro petitione Vigilii de 554), Justinien avait déclaré applicable à l’Italie reconquise l’ensemble des compilations ci-dessus.

La redécouverte des compilations de Justinien ne s’est pas faite « en bloc » mais de façon progressive, au travers de manuscrits plus ou moins fragmentaires. Le premier travail effectué par Irnerius († après 1126), considéré comme le « fondateur » de l’école de Bologne, cette future alma mater des sciences juridiques, n’a-t-il pas été précisément de tenter de remettre de l’ordre dans les libri legales ? Une remise en ordre qu’il n’a pas, semble-t-il, eu vraiment le temps ni la possibilité d’effectuer convenablement. Aussi va-t-on trouver dans nos manuscrits médiévaux un découpage des compilations de Justinien qu’expliquent en partie (mais en partie seulement) les hasards de cette transmission initiale. C’est ainsi que les manuscrits du Code ne contiennent que les neuf premiers livres, tandis que les trois derniers, les Tres libri, sont transmis de manière indépendante.

La masse considérable des textes du Digeste connaît, quant à elle, un découpage encore plus complexe, car le Digeste a fait l’objet de plusieurs transmissions fragmentaires à côté du seul manuscrit complet qui nous en soit parvenu : la fameuse « littera Pisana » devenue, après la conquête de Pise par les Florentins (1406), la Florentine10. Ce découpage, œuvre des glossateurs, est le suivant : une première partie qui va du livre I au livre XXIV, titre II inclus, constitue ce qu’on appelle le Digestum vetus ; ce sont, semble-t-il, les premiers livres à avoir été découverts ; par opposition, les livres XXXIX à L forment le Digestum novum ; enfin l’Infortiatum va du livre XXIV, titre III, à la fin du livre XXX-VIII [= titre XVII], et sa partie qui va de 35, 2, 82 à la fin (38, 17, 10) forme ce qu’on appelle les Tres partes11. Quant aux Novelles, l’histoire assez complexe de leur transmission manuscrite est à l’origine du nom que les glossateurs vont leur donner : authenticae. Irnerius, face à deux collections différentes de Novelles – l’Epitome Juliani, déjà connue de l’Occident12, et une collection un peu plus étendue –, a fini par attribuer à cette dernière le nom de liber authenticum, d’où le nom d’authenticae qui leur est donné après que ce même Irnerius a eu l’idée d’en insérer des extraits dans le Code13. Ces Novelles ou Authentiques font l’objet d’une numérotation continue mais sont réparties par les médiévaux en neuf collationes, auxquelles en sera ajoutée une dixième en 1220, sur l’ordre de Frédéric II, comportant principalement les Libri feudorum14. Dans un certain nombre de manuscrits et plus tard d’éditions, ces Authentiques sont rassemblées en un seul volume avec les Institutes et les Tres libri. C’est notamment le cas des éditions comportant la Glose d’Accurse divisée en cinq volumes dont le dernier s’intitule : Glossa in Volumen15.

À la différence des compilations de Justinien, le droit canonique ne présente pas dès le début un corps de droit complet, bien au contraire. La période qui va du XIIe au début du XIVe siècle est en effet celle de la formation progressive du Corpus iuris canonici. Le Décret de Gratien en constitue le premier élément. Il a été confectionné à l’aide de plusieurs collections canoniques antérieures dont notamment la Panormie et la Tripartita d’Ives de Chartres, aux alentours de 1140, et complété durant la décennie suivante16. Œuvre privée, la Concordia discordantium canonum, tel est le titre exact du Décret de Gratien, est formée de plus de quatre mille fragments issus principalement de textes conciliaires, de décrétales pontificales, de textes patristiques et subsidiairement de textes de droit romain. Le Décret est composé de trois parties, généralement transmises ensemble à l’exception de la troisième : le De Consecratione, qui ne figure pas dans tous les manuscrits17. Très vite adopté par les maîtres, il va servir de base à l’enseignement du droit canonique non seulement à Bologne mais partout ailleurs.

Très vite également, les maîtres vont songer à recueillir les décrétales prises notamment par le pape Alexandre III dont le pontificat (1159-1181) est marqué par une intense activité législative, elle-même fruit de la réforme grégorienne. Dès les années 1175-1180, de petites collections de décrétales voient le jour et, entre 1191 et 1193, Bernard de Pavie compose la première des cinq compilationes antiquae, la Compilatio prima, dont le plan sera repris par toutes les autres. Divisée en cinq livres eux-mêmes subdivisés en titres, elle va connaître un succès immédiat et servir à son tour de base à l’enseignement, non seulement à Bologne mais également à Paris où elle est commentée dès le début du XIIIe siècle18. Le phénomène se poursuit, en particulier sous le pontificat d’Innocent III (1198-1216), et donne naissance à de très nombreuses collections de décrétales parmi lesquelles la Compilatio tertia de Pierre de Bénévent (1209) et la Compilatio secunda de Jean de Galles (1210). Deux autres compilations viendront les compléter : la Compilatio quarta de Jean le Teutonique (1216) et la Compilatio quinta de Tancrède (1226)19. C’est principalement dans ces cinq compilationes antiquae que Raymond de Peñafort puisera pour confectionner le recueil dont Grégoire IX l’a chargé dès son accession au pontificat : ce seront les « Décrétales de Grégoire IX », recueil officiel promulgué en 1234. Il constitue le second élément du Corpus iuris canonici et sera complété par deux autres recueils officiels : le Sexte (1298) et les Clémentines (1317)20.

Tous ces manuscrits forment évidemment le plus gros des livres juridiques qui circulent au Moyen Âge. Mais l’enseignement auquel ils servent de support devait également donner naissance à d’autres types de manuscrits juridiques. Étroitement liés aux méthodes d’enseignement communes à tous les juristes, qu’ils soient civilistes ou canonistes21, ce sont eux que nous allons examiner à présent.

L’une des premières formes que les œuvres magistrales ont revêtues est celle de la summa. Exposé d’ensemble, plus ou moins bref, la summa peut porter sur une œuvre entière comme par exemple la Summa Trecensis sur le Code, longtemps attribuée à Irnerius, ou la Summa d’Étienne de Tournai sur le Décret (1165-1166). Elle peut aussi ne porter que sur un point particulier comme la Summa de matrimonio de Tancrède. L’auteur suit par grandes divisions, par exemple titre par titre, le plan de l’œuvre sur lequel porte sa somme. Celles d’Azon sur le Code (1208-1210), d’Huguccio sur le Décret (1180-1188) et d’Hostiensis sur les Décrétales de Grégoire IX (1250-1253) ont été parmi les plus célèbres.

La summa, surtout au début, a souvent eu pour fonction d’introduire à une lecture plus approfondie des textes. Quelques manuscrits parisiens du début du XIIIe siècle conservent la trace de cette pratique22. Cette lectio était faite par le maître qui, encore au début du XIIIe siècle, possédait la plupart du temps seul le manuscrit de droit romain ou de droit canonique objet de l’enseignement. Elle donnait lieu de sa part à des commentaires selon la technique bien connue de la glose. La glose est un commentaire plus ou moins long qu’un ou plusieurs mots du texte suggèrent au maître. Par ce moyen, il rapproche le texte dont il fait la lecture d’autres textes, formule la règle qui s’en détache, introduit des nuances ou des distinctions. Ces gloses sont portées en marge du texte objet de la lectio. Les gloses d’un maître sur un même texte ont assez vite tendance à se fixer, au moins pour l’essentiel, et à former un « apparat », c’est-à-dire un ensemble de gloses qui, du même coup, va être copié sur d’autres manuscrits23. Elles ont aussi tendance à être reprises par leurs successeurs : c’est ainsi que s’est formé sur le Décret de Gratien ce qu’on appellera la glose ordinaire (vers 1215), due à la plume de Jean le Teutonique qui lui-même emprunte beaucoup à Laurent d’Espagne. La glose ordinaire sur le Corpus iuris civilis sera, elle, due à Accurse (vers 1230)24. Celle sur les Décrétales de Grégoire IX, plus tardive, sera l’œuvre de Bernard de Parme († 1266), tandis que Jean André sera l’auteur des gloses ordinaires sur le Sexte et les Clémentines. Ce sont ces « gloses ordinaires » qui seront reproduites en marge des éditions cum glossis du Corpus iuris civilis et du Corpus iuris canonici25.

Plus fournies, les Lecturae ou Commentaria prennent la suite des apparats de gloses. À la différence de ces derniers, elles ne figurent plus, en principe, en marge des textes commentés mais seules dans les manuscrits. Leurs auteurs suivent pas à pas le plan du recueil qu’ils commentent en rappelant seulement par son incipit le texte objet de leur attention. Leurs « lectures » peuvent ainsi prendre une ampleur nettement supérieure à celles de leurs prédécesseurs, mais elles restent proches de l’apparat de gloses dans la mesure notamment où leurs commentaires demeurent accrochés aux mots du texte26. Œuvres majeures pour beaucoup d’entre elles, elles feront souvent l’objet d’éditions dès la fin du XVe siècle. Enfin l’usage de la glose comme les liens étroits qui unissent civilistes et canonistes ont donné naissance à des brocarda ou brocardica, comme ceux de Richard l’Anglais ou ceux d’Azon27, à des « distinctiones », comme celles écrites par Lambert de Salins, professeur à Orléans28, ou encore à des ouvrages qui recensaient les dissensiones dominorum29.

Si la technique de la glose est à l’origine d’un bon nombre de livres juridiques, elle n’est pas la seule à les avoir suscités. À côté de la lectio, la questio, qui consiste à « disputer » de manière approfondie un point de droit, est apparue de bonne heure. Gérard Fransen en situe l’apparition dans le second quart du XIIe siècle chez les civilistes, suivis seulement une trentaine d’années plus tard par les canonistes30. À Bologne, dès la seconde moitié du XIIe siècle, on réservait un après-midi par semaine à cette discussion publique sur un thème désigné à l’avance, et cet usage a été imité ailleurs. De là le titre de certains ouvrages qui en sont issus comme les célèbres Questiones sabbatinae de Pillius de Medecina (1180-1190) ou les Questiones tam dominicales quam veneriales de Barthélemy de Brescia (1234-1241)31.

Les Repetitiones qui en sont très proches portent, elles, sur un texte précis, une « loi » du Digeste ou du Code par exemple32. Les Consilia, apparus un peu plus tardivement et qui connaîtront une vogue considérable aux XIVe et XVe siècles, répondent au même but : traiter à fond d’un problème juridique suscité par un cas pratique (qui sent néanmoins plus d’une fois le cas d’école…)33. Presque tous les juristes de la fin du Moyen Âge s’y essaient mais ce sont ceux de Balde († 1400) qui resteront incontestablement les plus célèbres.

Il faut enfin faire une place à part aux traités, apparus de bonne heure, notamment dans le domaine de la procédure34. Ils sont nombreux, portent eux aussi sur un point précis et sont d’une étendue et d’un intérêt fort variables, comme on peut s’en rendre compte en feuilletant le Tractatus Universi Iuris35.

Nombreux, variés, les livres juridiques ont bénéficié d’une diffusion de plus en plus large, vers laquelle il convient maintenant de tourner nos regards.

PRODUCTION ET DIFFUSION DU LIVRE JURIDIQUE UNIVERSITAIRE

On sait malheureusement peu de chose sur la production du livre, avant que les statuts universitaires, et subsidiairement certains statuts urbains comme ceux de Bologne ou de Padoue, ne viennent donner quelques indications à ce sujet36. « À l’origine les juristes n’écrivent pas des livres, ils préparent des cours », écrivait fort justement F. C. von Savigny dans son Histoire du droit romain37, ce même Savigny qui fut le premier à faire des observations sur la pecia, observations qui marquent une étape essentielle dans l’histoire de la production du livre38. Leur « lectio » porte sur des manuscrits dont la rareté et le coût très élevé expliquent, nous l’avons dit, que le maître soit encore à la fin du XIIe siècle souvent le seul à posséder un exemplaire du précieux texte39. Il faut savoir en effet que la copie d’une œuvre comme le Décret de Gratien prend près d’un an et demi, qu’il faut plus d’une année pour celle du Digestum vetus et près d’un an pour le Digestum novum ou le Code40. Le prix de tels manuscrits est hors de portée des élèves41. C’est pourquoi le maître « lit » au sens propre du terme le texte tandis que les gloses sont progressivement portées sous une forme abrégée en marge du texte lui-même42. Bien des manuscrits de la fin du XIIe siècle et de la première moitié du XIIIe contiennent ainsi plusieurs couches de gloses qui correspondent à des enseignements successifs et pas seulement à un enrichissement par la copie de gloses provenant d’autres apparats43. L’utilisation d’un manuscrit contenant déjà des gloses est fréquente et conduit parfois des copistes ultérieurs à attribuer à l’un ce qui appartient à l’autre en mélangeant les différentes couches44. C’est, semble-t-il, une des raisons qui ont conduit canonistes et civilistes à munir les gloses d’un sigle qui permet leur identification. La pratique se développe dès le second quart du XIIIe siècle et se maintiendra longtemps45.

Le deuxième quart du XIIIe siècle constitue surtout une étape importante dans l’histoire de la production du livre : celle de l’apparition de la pecia. Elle a été facilitée par le fait que les manuscrits étaient composés de cahiers de huit (quaterni) ou de six feuillets (sexterni), souvent non reliés entre eux, ce qui déjà en permettait la copie par plusieurs copistes qui pouvaient ainsi travailler en même temps à la reproduction d’une œuvre46. Facilitée également par le développement des ateliers de copistes auprès des écoles : le travail des copistes qui était traditionnellement du ressort des monastères passe progressivement aux mains de copistes professionnels établis à proximité de l’université. F. Soetermeer a pu établir que pour les manuscrits juridiques, notamment pour les manuscrits de droit romain, ce « transfert » a débuté bien avant 120047. Le développement de ces copistes laïcs au cours des premières décennies du XIIIe siècle a certainement facilité l’accès au « livre », mais il a également rendu nécessaire un certain contrôle sur sa production, d’autant que des vendeurs de livres n’avaient pas tardé à faire leur apparition. À Bologne, ces vendeurs de livres spécialisés (stationarii) existent dès les premières années du XIIIe siècle48. Le contrôle n’en a été néanmoins possible que lorsque l’université s’est dotée d’une véritable organisation. Il n’est donc pas surprenant que le système de la pecia, qui voit le jour au début du second quart du XIIIe siècle, n’ait été suivi que progressivement d’un contrôle universitaire plus rigoureux. La pecia n’est pas seulement en effet un système de production des manuscrits, il est aussi un système de contrôle de cette production par l’université.

D’après le fameux contrat de Vercelli49, le système de la pecia, serait né à Bologne dans les années 1220 ; il aurait ensuite été adopté par Paris au milieu du siècle, puis par de nombreuses universités non seulement en Italie et en France mais encore en Angleterre et en Espagne50. Il consiste à recopier une œuvre en partant d’un modèle : l’exemplar51 divisé en pecie numérotées, de 4 feuillets chacune52, pecie que l’on peut se procurer auprès d’un « stationnaire » qui les loue pour une durée déterminée et pour un prix fixé par l’université. À Bologne, le « stationarius exemplaria tenentes », encore appelé « stationarius peciarum », se distingue du « stationarius librorum » qui demeure un vendeur de livres, alors que le premier en principe ne pratique que la location de pecie53. À Paris où les stationnaires sont appelés (vulgariter !) « libraires », la distinction n’est pas aussi affirmée, et seuls quelques libraires pratiquent en même temps le prêt de pecie54. Pour ouvrir boutique, le stationnaire est en théorie obligé de posséder un certain nombre d’exemplaria tant des textes des deux Corpus que de leurs commentaires, notamment leurs gloses ordinaires : exigence rapidement formulée avec une certaine rigueur en Italie, alors que le système restait beaucoup plus souple ailleurs55. À Bologne, plusieurs de ces boutiques de stationnaires appartiendront à des professeurs qui les feront gérer par des tiers. Tel est en particulier le cas des fils d’Accurse56. Les universités veillent à ce que les stationnaires possèdent bien les exemplaria qu’elles jugent indispensables à la formation de leurs étudiants. La commune de Padoue s’engage même en 1261 à donner un salaire de soixante lires à un ou deux stationnaires pour qu’ils tiennent des « exemplaria in iure canonico et civili ad utilitatem et comodum omnium doctorum et scolarium ac universitatis studii paduani »57.

Posséder des exemplaria est une richesse dont les édiles de la ville de Bologne ont une conscience aiguë : les statuts communaux de 1250 en prohibent l’exportation58. À Paris les statuts de l’université de 1316 interdiront à tout stationnaire de vendre un exemplar sans l’autorisation de l’université, mais ils lui interdiront également de refuser un exemplar à quelqu’un qui voudrait faire un autre exemplar59. Certains stationnaires en arrivent ainsi à posséder un nombre élevé de pecie : lorsque Franciscus de Monte meurt à Bologne, en septembre 1300, la mère et tutrice de son fils Anselme vend à un autre stationnaire treize cents pecie tant de droit civil que de droit canonique60. Mais ces pecie finissent par être tellement utilisées qu’elles en deviennent illisibles ; le stationnaire pourra être alors contraint de les retirer de la circulation61. Il en sera éventuellement de même si la pecia est par trop défectueuse, ce que les étudiants, voire les copistes, ne manqueront pas de signaler aux autorités universitaires auxquelles appartient le contrôle des exemplaria.

Les universités fixent en effet les règles auxquelles doivent en principe répondre les exemplaria, jusques et y compris parfois le nombre de lignes et de lettres par ligne que le feuillet d’une pecia doit contenir62. Toutes ne vont pas jusque-là. Le contrôle qu’elles exercent sur les exemplaria est plus ou moins strict suivant le lieu mais aussi suivant l’époque : il a très nettement tendance à se resserrer dès le dernier quart du XIIIe siècle. Les statuts universitaires se font avant tout l’écho d’une première exigence que l’on peut qualifier d’exigence a minima : que les exemplaria soient corrects et éventuellement corrigés si nécessaire.

Une norme que tous les stationnaires sont loin de respecter, si l’on en juge par le témoignage de Roger Bacon : dans son Opus minus (1266), Bacon se plaint d’avoir rencontré, quand il était étudiant à Paris, des « exemplaria viciosissima »63. Peut-être est-ce à cause de cela que les statuts parisiens de 1275 feront prêter aux libraires serment d’apporter « tous leurs soins » et de faire « toute diligence » pour avoir des exemplaria « vera et correcta ». Ceux de 1316 renforceront le contrôle en refusant que soit mis en circulation un exemplar avant qu’il ait été corrigé et « taxé » par l’université64. Les stationnaires doivent avoir des « petias integras, veraces et bene correctas, maxime in iure canonico et civili », précisent en 1329 les statuts de l’université de Toulouse65. Ceux de l’université d’Orléans interdisent en 1307 aux stationnaires de faire quelque addition que ce soit « nisi per doctorum consilium et assensu »66. Les additiones qui tendent à se développer au cours du XIVe siècle feront elles aussi l’objet d’un contrôle.

À Paris le contrôle des exemplaria a lieu lors de la « taxation », qui est effectuée par une commission de quatre maîtres assistés de leurs procuratores, nommés par le recteur67. À Bologne le contrôle est confié chaque année par le recteur à une commission de peciarii composée de six étudiants qui l’exercent durant les vacances. D’après les statuts de 1317-1347, les peciarii jouissent de pouvoirs étendus mais le nombre considérable de pecie à examiner, et ce dans un temps relativement court, fait naître quelque doute sur l’efficacité de ce contrôle68. Sans doute l’amende encourue en cas de location d’une pecia défectueuse, éventuellement les dommages et intérêts que le stationnaire peut être amené à verser à la victime, sans parler de la confiscation de la pièce, ont-ils été plus efficaces…69 La prise de conscience également par les maîtres des inconvénients que représente l’existence d’exemplaria défectueux va les inciter à donner un texte pouvant servir à la confection d’exemplaria.

Tel fut notamment le cas d’Hostiensis († 1271), qui avait envoyé à cet effet un exemplaire de sa Lectura sur les Décrétales aux universités de Paris et Bologne ainsi qu’à l’église d’Embrun dont il avait été évêque, manuscrits qu’il leur lègue mais en demandant que le manuscrit d’Embrun soit envoyé à Paris pour que le manuscrit de Paris, sans doute envoyé avant qu’il ait établi la version définitive, soit corrigé70. À Bologne enfin, dans les statuts de la seconde moitié du XIIIe siècle, on interdit aux stationnaires de mettre en circulation un exemplaire sous le nom d’un docteur sans que celui-ci le reconnaisse pour sien et accepte qu’il soit ainsi donné « ad exemplar »71. Les exemplaria que nous avons conservés portent la trace de ce contrôle : la mention en figure in fine de la pecia, comme dans l’exemple suivant : « finis xix Iacobi stat.-cor. » (BNF, ms. latin 14341, f. 90v).

Les autorités universitaires fixent également le tarif de location des pecie, dont le mécanisme a été très bien décrit par J. Destrez72. Nous avons conservé un certain nombre de listes de taxations dont la plus ancienne remonte pour Bologne à la seconde moitié du XIIIe siècle – c’est la liste du manuscrit d’Olomouc. Ces listes permettent de repérer les œuvres qui étaient ainsi diffusées par exemplar et pecie73.

Le système de la pecia, qui a dominé la diffusion des livres universitaires dont elle a permis d’accroître considérablement le nombre, sera progressivement remplacé à partir de la fin du XIVe siècle par le système de la dictée, seul pratiqué dans certaines universités de création plus tardive, telles les universités d’Europe centrale et orientale. La dictée gagne même Bologne où les statuts de 1432 interdiront seulement de dicter pendant les heures de cours74. L’invention de l’imprimerie n’est alors plus très loin.

1. BNF, ms. lat. 4536, f. 170v° : Code avec gloses préaccursiennes (Bologne ?, début XIIIe siècle).

2. BNF, ms. lat. 3893, f. 98 : Décret de Gratien avec gloses de Barthélemy de Brescia, Causa 1 (Paris, 1314).

3. BNF, ms. lat. 3893, f. 201 : Décret de Gratien avec gloses de Barthélemy de Brescia, Causa 14 (Paris, 1314).

4. BNF, ms. lat. 14339, f. 203v° : Digeste vieux avec glose d’Accurse, et marque de pecia du texte (Bologne, vers 1345).

5. BNF, ms. lat. 14341, f. 262v° : Digeste avec glose d’Accurse (Bologne, vers 1330).

6. BNF, ms. lat. 14341, f. 70 : mention de pecia de la glose de la première partie avec nom du stationnaire : « finis XIIII ser Johannis prime [partis]. cor. ».

7. BNF, ms. lat. 14341, f. 90v° : mention de pecia de la glose avec nom du stationnaire : « finis XIX Jacobi stat[ionarii]. cor. ».

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1 À propos duquel on pourra consulter Pierre Riché, Enseignement du droit en Gaule du VIe au XIe siècle, Jus romanum medii aevi, I, 5, b bb, Milano, 1965 ; et André Gouron, La Science juridique française aux XIe et XIIe siècles : diffusion du droit de Justinien et influences canoniques jusqu’à Gratien, Jus romanum medii aevi, pars I,4,d et e, Milano, 1978.

2 Avant la renaissance du droit romain et de son enseignement, qui réserve le terme aux textes des compilations de Justinien (cf. infra) par opposition aux canones, leges est souvent employé au sens large de normes écrites. Un manuscrit composé au Xe siècle et possédé par l’abbaye de Lérins parle même de « leges canonum », cf. A. Gouron, ouvr. cit., p. 15.

3 Sur le témoignage qu’apporte sur ce point Ives de Chartres, cf. Anne Lefebvre-Teillard : « Custom and Law », Proceedings of the Tenth Internatinal Congress of medieval canon law, Città del Vaticano, 2001, pp. 753 et suiv. Sur l’évolution générale des sources du droit, cf. Jean-Marie Carbasse, Introduction historique au droit, 2e éd. corr., Paris, Presses universitaires de France, 1999.

4 Ives de Chartres est le premier à insérer des textes provenant du Digeste vieux (sur cette portion du Digeste, cf. infra) dans ses collections dont la parution s’échelonne entre 1094 et 1096. Sur elles et d’une manière plus générale sur les collections canoniques, cf. Jean Gaudemet, Les Sources du droit canonique, VIIIe-XXe siècle, repères canoniques…, Paris, éd. du Cerf, 1993. Sur les liens entre la réforme grégorienne et le droit romain, cf. Gérard Giordanengo, « Le droit romain au temps de la réforme, une étincelle (1050-1130) ? », Mélanges de l’École française, vol. 113 (2001), pp. 869 et suiv.

5 Sur la renaissance du droit, cf. Ennio Cortese, Il Rinascimento giuridico medievale, 2e éd., Roma, 1996. Sur l’essor des universités, cf. Jacques Verger, L’Essor des universités au XIIIe siècle, Paris, éd. du Cerf, 1997.

6 En France, il faudra attendre l’édit de Saint-Germain (1679) pour que soit créée dans les universités une chaire de droit français.

7 Cf. Linda Fowler-Magerl, Ordo iudiciorum vel ordo iudiciarius : Begriff und Literaturgattung, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1984.

8 Un remarquable inventaire des manuscrits de droit romain antérieurs à 1600 a été fait par Gero Dolezalek, Verzeichnis der Handschriften zum römischen Recht bis 1600, Frankfurt am Main, 1972, 4 vol. Du même auteur, on pourra également consulter : Repertorium manuscriptorum veterum Codicis Iustiniani, Frankfurt am Main, 1985.

9 Code, Digeste et Institutes sont des compilations thématiques où les textes sont regroupés par matières. Les Novelles forment au contraire un recueil chronologique.

10 Ce manuscrit de la fin du VIe-début VIIe siècle, dont la redécouverte a fait l’objet d’une véritable légende à laquelle la prise d’Amalfi par les Pisans sert de base, est encore le manuscrit de référence. Cf. l’édition moderne de Mommsen et Krüger, Berlin 1868-1870 (réimpr. 1962). Sur l’histoire de ce manuscrit jalousement conservé par ceux qui le détiennent et n’y donnent pas facilement accès, cf. Ennio Cortese, Il Diritto nella storia medievale, Roma 1996-1999, 2 vol., t. II, p. 466.

11 L’origine du terme Infortiat est obscure. On a parfois avancé qu’il pouvait venir de l’insertion « en force » de cette partie entre le Digestum vetus et le Digestum novum. Sur la transmission manuscrite du Digeste et sur son découpage, cf. W. P. Müller, « The recovery of Justinian’s Digest in the Middle Ages », dans Bulletin of medieval canon law, 1990, pp. 1-29. D’une manière plus générale sur les glossateurs du droit romain, cf. H. Lange, Römisches Recht im Mittelalter, t. I : Die Glossatoren, München, 1997.

12 L’Epitome Juliani composé de 124 novelles dont 2 répétées a été connu de l’Occident et utilisé notamment à l’époque carolingienne, cf. E. Cortese, Il Diritto…, ouvr. cit., t. I, Roma, 1995, pp. 242-243.

13 Cf. E. Cortese, Il Diritto…, ouvr. cit., t. II, pp. 66 et suiv. Le recueil contient 134 novelles. Toutes ne font pas l’objet d’une insertion dans les livres du Code. On peut donc trouver une novelle sous deux formes : abrégée lorsqu’elle a fait l’objet d’une insertion dans le Code, in extenso dans les Authentiques.

14 Sur cette compilation d’origine coutumière, cf. E. Cortese, Il Diritto…, ouvr. cit., t. II, p. 167.

15 Cette division en cinq volumes dont les trois premiers correspondent respectivement au Digestum vetus, à l’Infortiatum, au Digestum novum et le quatrième au Code, prend sa forme définitive au début du XIIIe siècle (cf. E. Cortese, ouvr. cit., t. II, p. 167). Ce sont ces éditions du Corpus iuris civilis avec la Glose d’Accurse qu’il vaut mieux utiliser quand on travaille sur les juristes du Moyen Âge, ainsi que le recommande Robert Feenstra, Droit romain au Moyen Âge (Introduction bibliographique à l’histoire du droit et à l’ethnologie juridique, fasc. B/10), Bruxelles, 1979, p. 21.

16 Il y a de très vives discussions, à l’heure actuelle, sur l’histoire de l’élaboration du Décret de Gratien dont le manuscrit de Florence, BN Conventi soppressi A I 402, qui comporte de nombreuses adjonctions à un texte lui-même peut-être issu du ms. de Saint-Gall 673, serait au point de départ. Cf. le numéro spécial consacré à la question par la Revue de droit canonique, 1998, à compléter par l’article de Carlos Larrainzar, « La formación del Decreto de Graciano por etapas », Zeitschrift der Savigny Stiftung für Rechtsgeschichte, 2001, pp. 67 et suiv. Selon C. Larrainzar, le manuscrit de Florence provient vraisemblablement de Camaldoli : cf. son étude « El Decreto de Graciano del codice Fd », Ius Ecclesiae, vol. X, n° 2 (1998), pp. 446-447.

17 La première partie est divisée en 101 distinctions, mais dans certains manuscrits la distinction 73 manque. La seconde est composée de 36 causes subdivisées en questions. La troisième comporte 5 distinctions et se signale par l’absence des « dicta » dans lesquels Gratien prend, dans les deux premières, la parole, notamment pour s’essayer à cette fameuse « concorde ».

18 Ces décrétales postérieures au Décret de Gratien sont dites, par les canonistes, « extra Decretum » et, de manière abrégée, « extra ». On désignera les cinq compilationes antiquae de cette manière en parlant d’« extra III » ou d’« extra II » par exemple. C’est pour cette raison que, l’habitude aidant, le recueil des Décrétales de Grégoire IX sera lui aussi qualifié d’« Extra » et représenté par le sigle X.

19 Stephan Kuttner, Repertorium der Kanonistik (1140-1234)…, Città del Vaticano, 1937 (réimpr. 1972). On pourra consulter, sur Internet, le site créé par Kenneth Pennington. Il permet de mettre à jour et de compléter les renseignements fournis par le Repertorium, qu’il prolonge jusqu’en 1500. En voici l’adresse : http://faculty.cua.edu/pennington/

20 Entre les Décrétales de Grégoire IX et le Sexte, l’activité législative des papes, en particulier d’Innocent IV, et la tenue d’importants conciles suscitèrent la composition de nouvelles collections pour compléter le Corpus ; trois d’entre elles ont été faites sur l’ordre d’Innocent IV (J. Gaudemet, Les Sources du droit canonique…, ouvr. cit., p. 128). Après la promulgation des Clémentines, on assiste encore à la confection de quelques recueils privés parmi lesquels les Extravagantes de Jean XXII, œuvre de Jesselin de Cassagnes, et les Extravagantes communes de Jean Chappuis. Ce dernier, qui était libraire, ajoutera successivement ces deux œuvres aux éditions qu’il donnera du Corpus iuris canonici au début du XVIe siècle. Elles seront reprises en dernier lieu par la commission chargée par Grégoire XIII de préparer l’édition du Corpus iuris canonici appelée editio Romana (1582).

21 Les civilistes enseignent le droit romain également appelé droit civil (de civis = citoyen), les canonistes le droit canon. Les méthodes d’enseignement sont souvent communes avec les théologiens et on discute beaucoup pour savoir qui, sur telle ou telle méthode, a pu influencer l’autre (Olga Weijers, Terminologie des universités au XIIIe siècle, Roma, 1987, surtout p. 337 pour la questio).

22 Cf. A. Lefebvre-Teillard, « Une somme : des sommes », “Ins geworfen und durchquert”, Festschrift für Knut Wolfgang Nörr, Köln, 2003, pp. 498 et suiv.

23 Sur la genèse des apparats en droit canonique, on pourra consulter l’étude d’Alfons Stickler, « La genesi degli Apparati di glose », Atti del II congresso internazionale della Società italiana di storia del diritto, Firenze, 1970, t. II, pp. 771 et suiv. L’apparat reste néanmoins un texte « ouvert » que l’auteur lui-même modifie tout au long de sa carrière, comme l’illustre, pour la célèbre glose d’Accurse, l’étude de Frank P. W. Soetermeer, L’Ordre chronologique des apparatus d’Accurse sur les Libri ordinarii, reprise dans : Livres et juristes au Moyen Âge, Goldbach, 1999, pp. 247 et suiv.

24 Accurse doit beaucoup à son maître Azon et au maître de son maître : Jean Bassien, mais il a aussi énormément travaillé. Sur lui, et sur la confection de cette glose également qualifiée de magna glosa, cf. E. Cortese, ouvr. cit., t. II, pp. 179 et suiv.

25 La glose sur le Décret est celle de Jean le Teutonique révisée par Barthélemy de Brescia après la promulgation des Décrétales de Grégoire IX.

26 En particulier chez les canonistes. C’est pour cette raison qu’on trouvera encore dans les éditions imprimées des mots entre crochets : ce sont les mots glosés.

27 Le terme est d’origine obscure. Les brocarda expriment des «generalia» sur un point précis, extraits de différents textes sur lesquels ils s’appuient et selon la méthode du pro et contra avant de donner la solutio ; cf. E. Cortese, ouvr. cit., pp. 149 et suiv. Nombre de ces brocarda sont à l’origine d’adages juridiques.

28 Distinctiones super Digesto veteri et Codice. Robert Feenstra, Fata iuris romani : études d’histoire du droit, Leyde, 1974, pp. 173 et suiv.

29 Cf. E. Cortese, ouvr. cit., p. 86, note 58, qui pense que les dissensiones constituaient un type de littérature essentiellement développé dans les écoles mineures.

30 Gérard Fransen, « Les questions disputées dans les facultés de droit », Les Questions disputées et les questions quodlibétiques dans les facultés de théologie, de droit et de médecine, Turnhout, 1985, pp. 225-229 et 245-277. Les juristes ont peut-être sur ce point devancé les théologiens : cf. Olga Weijers, Terminologie des universités…, ouvr. cit., p. 337. Sur l’importance de la questio chez les civilistes et sa technique, cf. Manlio Bellomo, Aspetti dell’insegnamento giuridico nelle università medievali…, Reggio Calabria, 1974, pp. 40 et suiv., et surtout : I Fatti e il diritto : tra le certezze e i dubbi dei giuristi medievali (secoli XIII-XIV), Roma, 2000, spécialement pp. 355 et suiv.

31 Les Questiones sabbatinae ont été les premières à être imprimées au XVe siècle. Cf. E. Cortese, ouvr. cit., t. II, p. 158. Celles de Barthélemy de Brescia le seront à Lyon en 1504.

32 Ou un « capitulum » des Décrétales, comme le fera Guillaume Benoît († 1514) dont la Repetitio in capitulum Raynutii de testamentis est restée célèbre chez les juristes français. Sur les repetitiones, cf. C. H. Bezemer, Les Répétitions de Jacques de Révigny : recherches sur la répétition comme forme d’enseignement juridique…, Leiden, 1987.

33 V. Colli, « Libri consiliorum. Note sulla formazione e diffusione delle raccolte di consilia dei giuristi dei secoli XIV e XV », Consilia im späten Mittelalter, éd. J. Baumgärtner, Sigmaringen, 1995, pp. 225 et suiv.

34 Cf. E. Cortese, Il Rinascimento…, ouvr. cit., pp. 71 et suiv.

35 Publié entre 1583 et 1586 sous les auspices de Grégoire XIII, il est composé de dix-huit volumes in-folio qui recueillent par matières un nombre considérable de traités. Pour plus de détails, cf. l’étude de G. Colli, « Per una bibliografia dei trattati giuridici pubblicati nel XVI secolo », Ius nostrum, vol. 20, Milano, 1994.

36 « Il est particulièrement frustrant », remarquent Richard H. et Mary A. Rouse, dans leur ouvrage, Manuscripts and their makers. Commercial book producers in medieval Paris, 1200-1500, London, 2000, « de ne pas savoir les circonstances dans lesquelles les premiers livres ont été produits (vers 1170-1220) ».

37 Friedrich Carl von Savigny, Geschichte des römischen Rechts im Mittelalter, 2e éd., Heidelberg, J. C. B. Mohr, 1834, t. III, p. 556.

38 Comme le signale F. P. W. Soetermeer, Utrumque Ius in peciis : aspetti della produzione libraria a Bologna fra due e trecento, Milano, 1997, p. 10. Il a fallu attendre néanmoins Jean Destrez pour qu’apparaisse la première étude substantielle sur la pecia : La Pecia dans les manuscrits universitaires du XIIIe et du XIVe siècle, Paris, 1935. Le système n’est évidemment pas spécifique au seul livre juridique : cf. Giovanna Murano, « Opere diffuse per exemplar e pecia. Indagini per un repertorio », Italia medioevale e umanistica, t. XLI (2000), p. 74, note 3.

39 M. Bellomo, Saggio sull’Università nell’età del diritto comune, Catania, 1979, pp. 46 et 64 (réimpr., Roma, 1994).

40 Le calcul a été fait en partant de contrats de copistes par L. Devoti, « Aspetti della produzione del libro a Bologna : il prezzo di copia del manoscritto giuridico tra XII e XIV secolo », Scrittura e civiltà, 18 (1994), pp. 138 et suiv. (cité par Giovanna Murano, « Tipologia degli exemplaria giuridici », Juristische Buchproduktion im Mittelalter, actes du colloque tenu au Max Planck Institut de Francfort en 1998, Frankfurt am Main, 2002, p. 115).

41 M. Bellomo, Saggio…, ouvr. cit., p. 117.

42 On est très mal renseigné sur la manière dont ces gloses étaient ainsi insérées en marge du texte lu par le maître. Certains manuscrits laissent penser qu’elles étaient prises en note, lors de la leçon, par un des élèves du maître déjà bien avancé dans ses études (le reportator), puis reportées ensuite sur le manuscrit, ce qui expliquerait par exemple la présence de mentions telles que : « palea est, magister non legit istud capitulum » (Lilienfeld, Stiftsbibliothek 220, fol. 38vb) ou encore « ad hunc locum dicit B. se tractasse de monachis (sic) privilegiis [in] sequentia capitula » (London, Lambeth Palace 105, fol. 178ra). Il est très difficile de dire si cette technique de la reportatio qu’on connaît un peu mieux pour les questiones (cf. M. Bellomo, Aspetti…, ouvr. cit., pp. 40 et suiv., et I Fatti, ouvr. cit., pp. 376 et suiv.) était courante ou non surtout au début de notre période. On en a un exemple donné par Meijers à propos de Jean Bassien : E. M. Meijers, « Sommes, lectures et commentaires (1100-1250) », Atti del congresso internazionale di diritto romano, Bologna, 1934, repris dans Études d’histoire du droit. 3, Le droit romain au Moyen Âge, Leyde, [s. d.], p. 239.

43 Un bon exemple est fourni par le manuscrit 107 de la Bibliothèque de Saint-Omer : cf. notre étude, « Magister A. Sur l’école de droit canonique parisienne au début du XIIIe siècle », Revue historique de droit français et étranger, 2002, n° 4. Les apparats de gloses circulent de bonne heure indépendamment du texte. Ils sont souvent copiés pour être recopiés ensuite en marge du texte qu’ils concernent. La copie est parfois fort sélective, comme nous avons pu le constater à propos d’une copie de l’apparat contenu dans le manuscrit de Saint-Omer 107 que nous avons retrouvée, cf. notre étude : « Fils ou frère ? Sur le manuscrit 17 de Lons-le-Saunier », Bulletin of medieval canon law, n° 24, pp. 58 et suiv.

44 Cf., à propos de la Lectura d’Azon sur le Code, les observations de Gero Dolezalek citées par F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 46.

45 On peut trouver dans des manuscrits antérieurs à cette période quelques gloses siglées, mais la pratique s’est surtout développée à partir de là. À Bologne, Roffredus chez les civilistes, Tancrède chez les canonistes ont, semble-t-il, joué un rôle important en la matière. Ces sigles apposés in fine sont généralement composés de la première ou des deux premières lettres du nom (William H. Bryson, Dictionary of sigla and abbreviations to and in lawbooks before 1607, Charlottesville, 1975).

46 Cf. F. P. W. Soetermeer, Utrumque Ius…, ouvr. cit., pp. 24 et s. Quaterni et sexterni sont les plus fréquents, mais pas les seuls. Le manuscrit 385 de la Bibliothèque municipale de Troyes, d’origine parisienne, est ainsi composé (fol. 2r-99v) de treize cahiers (dix de huit feuillets, trois de six) dont les douze premiers sont numérotés. Il contient la Compilatio prima dans une de ses toutes premières versions, en marge de laquelle ont été copiés d’abord l’apparat « Militant siquidem patroni », composé entre 1207 et 1210, puis la Summa decretalium de Bernard de Pavie qui, elle, est antérieure à 1198.

47 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., pp. 29 et s. Destrez expliquait par ce transfert, qui est plus tardif pour les manuscrits théologiques, la naissance de la pecia.

48 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 30, note que l’existence de tels vendeurs avant 1200 est douteuse. En revanche ceux-ci sont présents à Bologne dès les années 1220. Il se réfère notamment (p. 33) à deux contrats de 1226 et 1227 dont l’un des protagonistes est un certain Albertus de Libris qui est également qualifié de « venditor librorum ». Or, en 1220, Albertus est locataire de deux « casamenta » dans la cour de Saint-Ambroise, une place où il achète en 1223 une maison. La cour Saint-Ambroise deviendra celle des stationnaires.

49 Ce contrat (1228) intervient à la suite du transfert d’une partie des étudiants bolonais à Padoue en 1222 (F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 35).

50 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 1, et plus spécialement pour Paris, Louis-Jacques Bataillon, « Exemplar, pecia, quaternus », Vocabulaire du livre et de l’écriture au Moyen Âge, éd. O. Weijers, Turnhout, 1989, p. 216.

51 Sur l’ambiguïté du terme exemplar, voir L.-J. Bataillon, art. cit., p. 212. Comme l’avait noté J. Destrez, ouvr. cit., p. 29, confirmé par F. P. W. Soetermeer (ouvr. cit., pp. 159 et suiv.), l’exemplar a des provenances diverses. Tous sont loin d’être copiés en partant d’apographes (textes écrits par l’auteur lui-même ou directement sous son contrôle, par un secrétaire par exemple). C’est pourquoi les statuts universitaires font, avec tant d’insistance, l’obligation aux stationnaires d’avoir des exemplaria fiables.

52 C’est le nombre le plus courant à Bologne, chaque quaterni correspondant en principe à deux pecie, mais le nombre de feuillets par pecia est variable d’un endroit à l’autre, voire d’une époque à l’autre. Il peut être par exemple de 6 ou même de 8 feuillets (G. Murano, « Tipologia », art. cit.). À Paris la pecia de 6 feuillets est la plus usitée (F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 113).

53 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., pp. 56 et suiv.

54 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 116. D’après O. Weijers, Terminologie…, ouvr. cit., p. 245, le terme libraire était seulement utilisé à Paris, Orléans et Naples.

55 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., pp. 69 et suiv. L’exigence, quand elle est formulée, concerne surtout ce qu’on appelle les livres ordinaires, c’est-à-dire ceux qui font l’objet des « leçons ordinaires » (en principe le matin), par opposition aux « leçons extraordinaires ». Font notamment partie des livres ordinaires le Décret et les Décrétales de Grégoire IX pour le droit canonique, le Digeste vieux et le Code pour le droit civil.

56 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 183. C’était également le cas d’Odofrède et de son fils. Évidemment les exemplaria des œuvres de ces juristes, mis ainsi directement par eux à la disposition des étudiants, seront plus fiables.

57 Cité par F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 37.

58 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 84. Interdiction assez vaine du reste, ne serait-ce qu’à cause des crises qui se traduisent par le transfert momentané d’un certain nombre d’étudiants et de maîtres dans une autre ville, lequel ne manque pas de s’accompagner du « transfuge » de pecie (Soetermeer, ouvr. cit., pp. 209 et suiv.).

59 Chartularium universitatis Parisiensis…, éd. H. Denifle et É. Chatelain, Paris, Delalain frères, 1899-1897, t. II, 19 et II, 733, cité par F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., respectivement pp. 163 et 116.

60 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 40.

61 Il la remplacera alors par une nouvelle pecia qu’il achètera ou fera dupliquer. C’est pourquoi les exemplaria qui nous sont parvenus sont généralement composés de pecie hétérogènes. Il faut qu’une œuvre soit tardive et ait peu circulé, comme la Lectura abbreviata super Apparatus Hostiensis de Sampson de Calvo (BNF, ms. lat. 14613), pour qu’un exemplar soit composé de pecie d’origine, comme le souligne G. Murano, « Tipologia », art. cit. (cf. supra note 40).

62 D’après les statuts de Bologne de 1317-1347 publiés par H. Denifle, une pecia de 4 feuillets est constituée de 16 colonnes (2 x 8) qui doivent chacune contenir 62 lignes, et chaque ligne 32 lettres (F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 120).

63 Observation bien connue (voir en dernier lieu R. H. Rouse et M. A. Rouse, ouvr. cit., p. 32). Mais peut-être faut-il attribuer à l’hostilité que ce franciscain témoigne à l’égard des vendeurs de livres « mariés et illettrés », incapables de « discerner la vérité », une part d’exagération.

64 Cités par F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 136.

65 Ibidem, p. 133.

66 Marcel Fournier, Les Statuts et privilèges des universités françaises depuis leur fondation jusqu’en 1789, Paris, Larose et Forcel, 1890-1892, 3 vol., t. I, p. 23, cité par G. Murano, art. cit.

67 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 137.

68 Pour plus de détail, F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., pp. 143 et suiv.

69 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 145.

70 Cf. Kenneth Pennington, « An earlier recension of Hostiensis’s Lectura on the Decretals », Bulletin of medieval canon law, 1987, pp. 77 et suiv. Également F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 178.

71 F. P. W. Soetermeer, ouvr. cit., p. 171. Cette règle figure dans les statuts ; sur le problème de leur datation, cf. F. P. W. Soetemeer, ouvr. cit., p. 97. Elle est surtout faite pour protéger les stationnaires et le « public » contre les éditions pirates.

72 J. Destrez, ouvr. cit., p. 6. À Paris comme à Bologne, l’étudiant doit en principe donner un objet en gage au stationnaire qui veut être sûr qu’il rapportera, au terme convenu, la pecia dont le prix de location est payé d’avance. On trouvera dans l’ouvrage de F. P. W. Soetermeer (pp. 311 et suiv.) des listes de taxation données en exemple. Voir aussi l’étude très intéressante de G. Murano sur « La lista di opere peciate nel manoscritto Leipzig, Universitätsbibliothek, 930 », parue dans la Rivista internazionale di diritto comune, 2001, pp. 289 et suiv.

73 En ajoutant aux œuvres mentionnées dans ces listes celles qu’elle a personnellement retrouvées en vue de l’établissement d’un nouveau répertoire, Giovanna Murano (« Tipologia… », art. cit.) arrive à un total de cent trois œuvres en droit civil et de cent vingt-neuf en droit canon diffusées par exemplar et pecie.

74 Jacqueline Hamesse, in Vocabulaire du livre et de l’écriture au Moyen Âge, éd. O. Weijers, Turnhout, 1989, p. 183.