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L’Europe des humanistes (XIVe-XVIIe siècles), répertoire établi par J.-F. Maillard, J. Kecskeméti et M. Portalier

2e éd., Paris, CNRS Éditions, 2003, 543 p., ill. (« Documents, études et répertoires publiés par l’Institut de recherche et d’histoire des textes »)

Frédéric BARBIER

Voici la seconde édition d’un classique des études humanistes, la première ayant été donnée à Paris en 19955, et d’un classique de l’histoire du livre. La très bonne définition de l’humanisme proposée dans l’avant-propos insiste en effet sur la problématique du « projet culturel » et de la tradition : l’humanisme a pour objectif de promouvoir une « formation globale (…) à vocation encyclopédique ». Il s’agit de

s’approprier ou de se réapproprier les textes perdus ou mal compris de toutes les traditions dont participe l’humanisme puis de celles des autres peuples pour les assimiler, les actualiser en une nouvelle synthèse et les transmettre à son tour (…). Supposant l’existence de textes à transmettre, l’humanisme est une civilisation du livre, de même que sa religion est une religion du Livre (p. 5).

L’histoire de l’humanisme sera donc, d’abord, celle de découvreurs et celle de collections de livres et de textes6 : les origines en remontent à Pétrarque et à ses amis, l’apogée se place au XVe siècle (avec ces moments forts que sont les conciles de Constance et de Florence/Ferrare, et la chute de Constantinople), tandis que les XVIe et XVIIe siècles voient l’entrée dans une problématique nouvelle, marquée notamment par la disjonction croissante entre domaine religieux et domaine scientifique. Parmi ces découvreurs de livres, bien évidemment, les professionnels, des copistes aux bibliothécaires, puis aux imprimeurs et aux libraires, occupent une place très importante. Ajoutons qu’une partie centrale de la problématique réside dans l’intégration de l’héritage grec au projet humaniste, intégration considérablement renforcée par le travail de Boccace mais qui était engagée de longue date. On le sait, l’Italie joue tout naturellement ici un rôle pionnier, notamment Venise et Florence7. Enfin, l’un des grands mérites du Répertoire est de s’ouvrir plus largement à une « autre Europe », et nous considérons à cet égard comme emblématique que l’illustration donnée en frontispice soit tirée de l’un des manuscrits de l’ancienne Biblioteca Corviniana enluminé par Attavante et aujourd’hui conservé à Torun. Le second terme du titre, « L’Europe », est de la sorte mieux pris en compte dans ses différentes dimensions spatiales et temporelles qu’il ne l’était dans les éditions antérieures (voir également la note 6 p. 9).

Le Répertoire propose donc sous une forme commode et ramassée les deux mille trois cent cinquante notices des « transmetteurs » morts après 1325 et nés avant 1600, données par ordre alphabétique. Les notices, très brèves, se présentent sous une forme normalisée en deux blocs d’information : en tête, les nom et prénoms de l’érudit, son origine géographique et ses dates de vie ou d’activité, puis l’indication de variantes éventuelles de nom, les fonctions occupées et la mention de l’activité principale. Ce premier bloc se referme avec la mention abrégée des sources biographiques et bibliographiques. La seconde partie des notices détaille sommairement la liste des auteurs transmis par chaque personnalité, avec renvois aux sources éventuelles : cet état de la tradition est réparti en trois tranches chronologiques, la première consacrée à l’Antiquité païenne, la seconde à l’époque des Pères de l’Église et la troisième aux VIIe-XVe siècles, un dernier groupe étant centré sur la tradition de l’Écriture.

L’une des difficultés majeures de ce type d’entreprises réside, bien entendu, dans les mutations du concept même de transmission au cours de la période prise en compte par le Répertoire :

Vu l’ampleur du champ géographique et textuel couvert sur plus de trois siècles par le Répertoire, nous avons donné la préférence aux transmissions imprimées, afin de souligner la spécificité de l’ère nouvelle ouverte par Gutemberg [sic]. Bien que coexistent et s’interpénètrent à l’époque deux modes de diffusion, l’on a exclu les humanistes dont aucune transmission n’est passée à l’état d’imprimé…

Deux index des variantes de noms facilitent l’utilisation du volume, le premier consacré aux « auteurs transmis », le second aux humanistes eux-mêmes. Parmi les vedettes retenues, nous remarquerons celles du savoyard Guillaume Fichet († vers 1480), le promoteur de la première imprimerie en France, mais aussi de Johannes Oporinus et de Heinrich Petri, tous deux imprimeurs à Bâle, ou encore de Gáspár Heltai à Kolozsvár († vers 1603), sans oublier les Estienne ou encore les Manuce. Après le temps des copistes, la figure de l’imprimeur humaniste devient bientôt l’une des plus actives. En résumé, un ouvrage très maniable et très commode, venant en complément des bibliographies et des revues spécialisées sur l’humanisme et la Renaissance. Et, si l’on peut légitimement considérer que l’éventail des noms retenus est représentatif, nous attendrions maintenant avec un très grand intérêt un essai d’exploitation statistique de l’ensemble du corpus (évolution quantitative par tranches chronologiques, distribution par domaines d’activité ou par origines géographiques, déplacement des corpus et typologie de la transmission, ébauche d’une géographie de l’humanisme européen, etc.).

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5 L’Europe des humanistes (XIVe-XVIIe siècles), Paris, CNRS, Turnhout, Brepols, 1995 (« Documents, études et répertoires » de l’IRHT). Voir aussi : La France des humanistes, 1 : hellénistes, Turnhout, Brepols, 1999 (« Europa humanistica »).

6 Cette problématique avait été notamment privilégiée par deux colloques tenus par le Centre d’Études supérieures de la Renaissance à Tours : L’Humanisme allemand (1480-1540). XVIIIe colloque international de Tours, München, Finck Verlag, Paris, Librairie J. Vrin, 1979 ; et surtout Le Livre dans l’Europe de la Renaissance. Actes du XXVIIIe colloque international d’études humanistes à Tours, Paris, Promodis, 1988 (« Histoire du livre »). D’autres approches ont été proposées en suivant les cadres géo-politiques, comme par exemple Graecogermania : Griechischstudien deutscher Humanisten. Die Editionstätigkeit der Griechen in der italienischen Renaissance (1469-1523) [catalogue d’une exposition de la Herzog August Bibliothek de Wolfenbüttel], Weinheim, New York, VCH-Actahumaniora,1989.

7 Voir Le Livre grec et l’Europe, du modèle antique à la diffusion des Lumières, [introd. par Jean Irigoin], Revue française d’histoire du livre, 98-99, 1998 (1 et 2), pp. 7-138. Voir aussi le compterendu qui suit, sur Homère chez Calvin.