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Les Memoires de l’estat de France sous Charles IX (1576-1579) de Simon Goulart : bilan bibliographique

Jean-François GILMONT

Université catholique de Louvain. Académie royale de Belgique

avec la collaboration d'Amy Graves-Monroe

Depuis quelques décennies, la personnalité et l’œuvre de Simon Goulart retiennent de plus en plus l’attention. Un témoin de poids : en décembre 2005, un colloque lui a été consacré à Genève, donnant la parole à plus d’une vingtaine de participants. Les actes publiés en 2013 par Olivier Pot proposent une bibliographie des travaux qui lui sont consacrés significative de cet intérêt croissant. Le titre du volume situe bien le personnage : Simon Goulart, un pasteur aux intérêts vastes comme le monde1.

La présente note s’attache à un recueil de pamphlets autour du règne de Charles IX et surtout de la Saint-Barthélemy. Ces textes quelque peu commentés ont paru en 1576 et dans les années suivantes. L’identité du compilateur a été retrouvée et solidement établie au début du XXe siècle par Léonard Chester Jones sur la base d’extraits de sa correspondance2.

Divers travaux récents ont attiré l’attention sur ces Memoires. Dans son édition Du droit des magistrats de Théodore de Bèze, Robert Kingdon a réuni les extraits des Registres du Conseil de Genève concernant l’impression des Memoires de l’estat de France3. Ingeborg Jostock dans son étude sur la censure des livres à Genève montre que ce recueil est un bel exemple des tensions entre le Conseil de la cité et les pasteurs à propos de la Saint-Barthélemy. Alors que le Consistoire entend défendre ses corréligionnaires contre la propagande mensongère des autorités françaises, le Conseil de Genève évite de se mettre à dos le Roi et son entourage pour préserver au maximum l’indépendance de la ville4. Le travail de Cécile Huchard porte principalement sur ces Memoires : elle étudie précisément les réactions de Goulart à la Saint-Barthélemy5. Dans sa thèse sur l’historiographie engagée de Goulart, Amy Graves consacre un long chapitre à ces Memoires. Elle montre que l’intention de l’auteur est de convoquer les responsables de la Saint-Barthélemy devant le tribunal de l’histoire6.

Ces Memoires sont donc loin d’avoir été négligés ces dernières années. Il n’en reste pas moins que leur bibliographie n’a pas été menée assez loin. La succession des différentes éditions, déjà esquissée par Jones, reste floue. Plus important encore, l’origine de ces impressions n’a pas été clairement établie. Leur provenance genevoise a été soupçonnée, mais pas prouvée.

LA SUCCESSION DES ÉDITIONS

Combien y a-t-il eu d’éditions et d’émissions ? Un mot d’explication pour les lecteurs qui ne sont pas familiers de la bibliographie des livres anciens. Si l’édition regroupe tous les ouvrages issus du même ensemble de formes typographiques, l’émission en désigne des sous-ensembles qui se distinguent par quelques éléments de la page de titre : changement de date, changement de nom d’éditeur. Dans notre cas, il s’agit surtout de datations différentes.

Les réémissions avec changement de date peuvent être produites selon deux techniques. L’imprimeur qui sort le livre en fin d’année, par exemple pour la foire de Francfort de septembre, fait déjà modifier la date en cours de tirage. Il imprime ainsi dès 1576 une partie des exemplaires avec la date de 1577. Il sait bien qu’il n’écoulera pas tout son tirage durant les derniers mois de l’année. L’autre technique consiste à recomposer une nouvelle page de titre avec une autre date. C’est le cas pour les émissions portant une date plus éloignée de l’originale. Cela ne se présente pas ici, sauf pour quelques exemplaires aberrants.

Le relevé bibliographique est délicat pour plusieurs raisons : certaines éditions fort rares n’ont pas encore été signalées ; d’autres éditions sont mal décrites dans les bibliographies ou dans les catalogues ; enfin, fait assez rare, certains exemplaires ont une page de titre imprimée expressément pour compléter un exemplaire orphelin de son titre ou sans cahier liminaire. Il s’agit là d’un phénomène que je n’avais pas encore rencontré dans ma carrière de bibliographe.

L’enquête bibliographique a été menée sur plus de 560 exemplaires. Je dois remercier les nombreux bibliothécaires consultés pour leur amabilité.

À la suite de ce travail, il convient d’écarter cinq titres pour diverses raisons : exemplaires composites avec une page de titre ou un cahier liminaire provenant d’une autre édition et surtout exemplaires précédés d’une page de titre étrangère à l’édition originale7.

Comme Jones l’avait bien vu, il y a trois éditions, chacune en trois volumes. La première date de 1576. Les volumes datés de 1576 sont rares, sauf pour le premier volume. Notre recherche a cependant permis de trouver plusieurs volumes second et troisième datés de 1576. La parution de l’ensemble des volumes en 1576 est d’ailleurs confirmée par la correspondance de Goulart et par le catalogue de la foire de Francfort de septembre 1576. Le 3 juillet 1576, Goulart annonce à Bonaventure Vulcanius que le troisième tome est sous presse : tomus tertius adversariorum meorum nunc excuditur. La formule adversaria mea (mon brouillon, mon ébauche) désigne habituellement ses Memoires8. Le 4 août, il promet au même correspondant de lui faire parvenir l’ouvrage sous peu9. Quant au catalogue de la foire de Francfort d’automne 1576, il énumère explicitement les trois volumes. Je rappelle que la foire d’automne se tenait du 7 au 21 septembre10. L’édition est cependant plus répandue dans l’émission datée de 1577. Son responsable avait, dès le départ, prévu une diffusion plus importante durant cette année.

Suivent deux éditions qui se présentent toutes deux comme Seconde edition, reveue, corrigée, et augmentée. Jones les a parfaitement distinguées. Elles ont le même format in-8° que la première édition de 1576, ce qui permet de regrouper des volumes de chacune des trois éditions. Jones a distingué une édition en grands caractères et une autre en petits caractères. C’est ainsi que le texte, pratiquement identique, remplit 655 feuillets dans l’une et 475 feuillets dans l’autre. L’édition « en grands caractères » doit être la première parce qu’elle n’est diffusée que sous la date de 1578, tandis que l’autre présente des émissions datées de 1578 et 1579.

Dans l’édition « grands caractères », la page de titre présente plusieurs détails curieux. Une émission est le fruit d’une erreur typographique dans la date du second volume : au lieu de composer M. D. LXXIII pour 1578, le typographe s’est trompé de quelques lettres, M. DC XXVIII, ce qui donne 1628. Il y a même un exemplaire où le DC a été imprimé DI, puis corrigé à la main en DC. Par ailleurs, dans une formulation générale identique, il est question tantôt de Charles neufiesme et tantôt de Charles IX. Ce changement doit être lié à la correction de la date puisque la forme Charles neufiesme apparaît avec la date erronée et Charles IX avec la date exacte. Comme Jones l’avait déjà remarqué, cette édition comporte souvent en complément les Memoires de la troisieme guerre civile que Jean Crespin avait publiés en 1571. La présence de ces Memoires n’est pas anecdotique. Elle constitue un indice pour l’identification de l’imprimeur.

L’autre seconde édition, en petits caractères, est de contenu identique à la précédente11. Elle a été diffusée avec les dates de 1578 et de 1579. Les exemplaires conservés se partagent à parts à peu près égales entre les deux dates. On peut donc en conclure qu’elle est venue après la précédente.

LA DIFFUSION DES ÉDITIONS

Le nombre d’exemplaires retrouvés dans notre enquête permet certaines considérations sur leur diffusion. Le nombre moyen d’exemplaires pour les trois éditions est respectivement de 41 pour la première édition, 95 pour l’édition en grands caractères et 54 pour celle en petits caractères. Comme il s’agit dans les trois cas d’ouvrages de même format, de même langue et de même contenu, les conditions de conservation sont relativement identiques. Il est possible de conjecturer un tirage plus important pour la seconde édition en grands caractères.

La première édition achevée en septembre 1576 a surtout été vendue avec le millésime de 1577 sauf pour le premier volume. Pour les deux autres volumes, les rapports 5/34 et 6/36 témoignent d’une plus grande diffusion des volumes datés de 1577. Cette bonne vente de la première édition explique la nouvelle impression presque immédiate de l’édition revue et augmentée de 1578 en grands caractères : 103 exemplaires du premier volume, 96 du second volume et 86 du troisième. Enfin la seconde édition en petits caractères a été diffusée de manière importante en 1578, mais encore largement en 1579. Pour les trois volumes, les quantités sont respectivement de 34/21, 27/22, 30/28.

Ces chiffres assez élevés attestent d’une bonne vente et d’une bonne conservation à travers les siècles. Le plus petit nombre d’exemplaires de la première édition pourrait s’expliquer par sa disparition après l’acquisition d’une seconde édition plus complète.

L’ÉDITEUR ET LES IMPRIMEURS

À regarder le matériel typographique utilisé dans ces éditions, il est possible de douter de leur origine genevoise comme je l’avais fait dans les premières versions de la base de données GLN 15-1612. La correspondance de Goulart avec Bonaventura Vulcanius et Josias Simler d’une part et les registres du Conseil de Genève d’autre part lèvent tout doute. Les éditions ont été fabriquées sous les yeux du compilateur13.

Comme l’a montré Ingeborg Jostock, l’attitude du Conseil est très ambiguë. À plusieurs reprises, il interdit l’impression. À d’autres moments, les requérants affirment avoir reçu l’autorisation d’imprimer. Le Conseil indique même que Juge a obtenu une première fois l’autorisation, mais se l’est vu refuser une autre fois. De son côté, Vignon essuie un refus le 3 juin 1578. Le 7 août 1578, il demande de pouvoir continuer l’impression du recueil dont le premier volume a été autorisé. C’est de nouveau un refus. Le plus étonnant, c’est la demande de Claude Juge du 30 juillet 1579 : il souhaite faire couvrir cet ouvrage d’un privilège. Il le cite au milieu de nombreux autres titres.

Quoi qu’il en soit du double jeu du Conseil, deux noms figurent parmi les demandeurs d’autorisation de l’ouvrage : Claude Juge et Eustache Vignon. Il est aussi question de Jérôme Commelin. Qui sont-ils donc ?

Claude Juge est un personnage important originaire de Lyon. Il épouse Anne de Gabiano, qui fait partie d’une grande famille de libraires lyonnais. Comme conseiller du roi de France, dont il est le trésorier auprès des cantons suisses, il joue un rôle important dans ces régions. Il s’installe à Genève en 1569 et en devient habitant en 1572. Il joue un rôle décisif dans l’édition genevoise de 1575 à 1583. Mais il n’a jamais dirigé un atelier typographique14. Il travaille en collaboration avec divers imprimeurs et libraires. Cet homme était bien placé pour juger des réactions de la cour de France face à une dénonciation de la Saint-Barthélemy.

Jérôme Commelin, arrivé à Genève en 1572, se lance dans l’édition dès 157415. Il collabore avec Pierre de Saint-André, fils de sa cousine Antoinette. Les années 1577-1579 sont difficile pour Commelin. En août 1577, Goulart signale que notre imprimeur est au lit avec un abcès dangereux au bras droit mettant sa vie en danger. Il se demande s’il pourra se rendre à la foire de Francfort16. Et le 18 février 1578, une intervention de Simon Goulart auprès du Conseil montre qu’à cette date Commelin risque une saisie de ses livres par quelques créanciers17. À l’époque, il se trouvait donc dans une situation économique fragile.

Eustache Vignon, gendre de Jean Crespin, hérita des trois quarts de la fortune de son beau-père. Continuant vraisemblablement à faire tourner au moins quatre presses, il était à la tête d’une des maisons d’édition les plus importantes de Genève18.

En juin et juillet 1578, Commelin tente de faire interdire l’impression des Memoires par Juge. Il s’estime lésé parce qu’il n’a pas encore écoulé tous les exemplaires de la première impression « qu’il a achetés dudict Juge »19. Comment comprendre cet « achat » ? Ce n’est pas clair. Ce pourrait être le prix payé pour la partie de sa propre impression réalisée aux frais de Juge. La suite du conflit entre Juge et Commelin n’apporte aucune lumière à ce propos. Les deux partis campent sur leur position. Et c’est Juge qui a le dernier mot. Ce débat constitue un indice sérieux pour l’attribution de l’édition de 1577 aux presses de Pierre de Saint-André et de Jérôme Commelin.

Eustache Vignon est vraisemblablement l’imprimeur des secondes éditions. Ses interventions auprès du Conseil datent de 1578, entre mai et août. Il demande l’autorisation d’imprimer le 30 mai, ce qui lui est refusé le 3 juin. Comme Vignon demande le 7 août 1578 de continuer l’impression des Memoires dont il a achevé la première partie qui « luy a esté permise », il fait allusion à une des secondes éditions. L’année étant déjà avancée, j’y vois une allusion à l’édition en petits caractères diffusée sous les dates de 1578 et 1579. Au-delà de cette hypothèse, les registres du Conseil ne nous fournissent aucun élément d’identification définitif.

L’examen des ornements typographiques ne donne pas de résultats indiscutables. La première édition de 1576 présente plusieurs fois un bandeau fait d’éléments superposés que je ne retrouve pas ailleurs20. En revanche, deux bandeaux de 66 × 6 mm et de 66 × 5 mm proviennent de l’atelier de Vignon21. Quant aux autres éléments, il ne m’a pas été possible de les identifier.

Au sujet de chronologie de l’impression, il faut corriger la remarque de Robert Kingdon reprise par Amy Graves selon laquelle « un travail d’une telle ampleur dépasse les moyens de la majorité des imprimeurs de l’époque »22. Une bonne connaissance des conditions de travail dans les imprimeries de l’époque infirme cette remarque. Les trois volumes de la première édition comptent respectivement 50, 50 et 26 feuilles d’impression (la feuille d’impression comporte pour un in-8° 16 pages réparties sur ses deux faces). Le tirage moyen à l’époque de 1 200 à 1 300 exemplaires demandait une journée de travail pour une feuille recto-verso. À Genève, la semaine de travail était de six jours sans pratiquement aucun jour chômé23. Cela signifie neuf semaines de travail pour les deux premiers volumes et cinq semaines pour le troisième. L’impression du premier volume semble excessivement longue : si le démarrage se situe autour du 20 novembre 157524, l’achèvement n’est pas signalé, mais le démarrage du second volume se situe autour du 10 mai 157625. Cela représente plus de vingt semaines. En revanche, pour les tomes suivants, le calendrier est plus raisonnable. Le début de l’impression du second volume est signalé autour du 10 mai 1576 et son achèvement peut être datée du 3 juillet puisqu’à ce moment le troisième volume est mis sous presse26. Cela donne huit semaines. Pour le troisième volume, démarré juste après, la fin doit correspondre au début de septembre, date de la foire de Francfort, autrement dit huit semaines. En tenant compte des approximations dans les dates, un seul imprimeur faisant travailler une seule presse pouvait parfaitement réaliser l’impression des trois volumes.

Cette première édition a certainement été financée par Claude Juge. Quant à l’impression, il est vraisemblable qu’elle a été effectuée par Pierre de Saint-André et Jérôme Commelin. Mais il n’est cependant pas possible de trancher avec une totale certitude.

Pour l’édition de 1578 de grand format, il y a davantage d’éléments orientant vers les presses de Vignon. Le bandeau (66 × 14 mm) qui orne le début des premier et second volumes propose un dessin dont il y a plusieurs variantes dans les ateliers genevois. Il me semble cependant bien correspondre à celui de l’atelier de Vignon27. Et celui de 66 × 5 mm au f. 2r du troisième volume provient aussi de cet atelier28. Il en va de même pour la lettrine C (29 × 29 mm) du début du premier volume29. Enfin le même cul-de-lampe (44 × 41 mm) se retrouve à deux reprises30.

À côté des indices tirés du matériel typographique, il convient d’ajouter la présence fréquente des Memoires de la troisieme guerre civile imprimés par Jean Crespin en 1571. Sur les 80 exemplaires du Troisiesme volume, il y en a au moins 40 reliés avec les Memoires de 1571. Eustache Vignon était le mieux à même d’ajouter cet ouvrage qui traînait dans les stocks d’invendus laissés par son beau-père. La conjonction de ces différents indices permet de conclure de façon plus ferme dans le cas de cette édition.

Reste la troisième édition diffusée sous les dates de 1578 et 1579, qualifiée d’édition « en petits caractères ». Comme on l’a vu, les indices tirés des registres du Conseil orientent nettement la recherche dans la direction d’Eustache Vignon. Mais l’examen du matériel typographique est beaucoup moins évident : nombre de bandeaux, de lettrines et de fleurons se retrouvent dans des ateliers genevois, mais chez des imprimeurs différents. Il s’agit parfois de dessins dont il existe des bois très proches. C’est la cas d’un I de 22 × 22 mm avec deux personnages adossés. On le trouve chez Henri Estienne, Jean de Laon, Pierre de Saint-André pour Eustache Vignon31. Le bandeau 73 × 17 mm avec un gnome chauve entre deux animaux se retrouve chez Henri Estienne, Jacques Berjon, Jean de Laon et Pierre de Saint-André32. Parmi ces noms de typographes, on trouve ceux de Jacob Stoer33, Jean de Laon34, Pierre de Saint-André, Jean Berjon35, Guillaume de Laimarié36, Henri et François Estienne37, mais aussi celui d’Eustache Vignon38.

Malgré cette dispersion du matériel, il semble que l’édition en petits caractères doive être attribuée par préférence à Eustache Vignon, principalement en raison de ses interventions auprès du Conseil. Elles prouvent que l’édition pour laquelle il sollicite une autorisation n’en était au second volume qu’en août 1578, ce qui oriente vers l’édition diffusée sous les dates de 1578 et 1579, plutôt que celle en grands caractères qui n’a connu que la date de 1578.

LA CENSURE BORDELAISE

Dans un article de 1964 sur Montaigne et le Discours de la servitude volontaire, Roger Trinquet a attiré l’attention sur une condamnation du Parlement de Bordeaux en date du 7 mai 157939. Le lien avec le Discours de La Boétie que cet article suggère n’est confirmé par aucune source. L’arrêt du Parlement ordonnant de brûler les livres intitulés Memoires de l’Estat de France n’est pas très explicite. Deux libraires de la ville, Guillaume Fontaine et Blaise Destadens ont été détenus pour avoir exposé en vente « certains livres scandaleux et diffamatoires ». Outre la destruction des ouvrages et le bannissement des deux libraires, une amende leur est imposée, de dix écus pour Fontaine et de cinq écus pour Destadens40. Ce détail permet de supposer que les deux libraires n’étaient pas également impliqués dans le délit. Mais pourquoi poursuivre en 1579 un ouvrage qui circule depuis 1576 ? Il est vrai que la censure de l’époque ne brille pas par son efficacité. En dehors du Discours de La Boétie, bien d’autres textes étaient inacceptables pour les autorités catholiques françaises.

Le fait méritait d’être signalé même si le document suscite plus de questions qu’il n’apporte de lumière. Pourquoi une intervention aussi tardive ? Pourquoi Bordeaux ? Quelle édition a-t-elle été visée ? Les documents actuellement connus ne permettent pas de donner une réponse solide à ces questions.

CONCLUSION

Simon Goulart et Claude Juge ont bien réussi leur coup. Le compilateur a voulu garder l’anonymat. Il l’avoue à Josias Simler : « puisqu’en vérité je suis peu connu, j’ai tu mon nom, en partie pour ne pas détourner de cette lecture les catholiques à cause d’un préjugé contre ma confession, en partie parce que il me faudra peut-être rentrer quelquefois dans ma patrie pour mes affaires personnelles »41. Son désir s’est parfaitement réalisé puisqu’il a fallu attendre le début du XXe siècle pour que Léonard Chester Jones attribue le recueil à Goulart sur la base d’extraits de sa correspondance42. Cherchant à diffuser largement le recueil, Claude Juge a, de son côté, mis sur le marché trois éditions successives en trois ans de 1576 à 1578. L’ouvrage a retenu l’attention non seulement des contemporains, mais encore des générations suivantes à en croire le nombre d’exemplaires parvenus jusqu’à nous. La fausse adresse prétendant l’ouvrage imprimé « A Meidelbourg, par Henrich Wolf » n’a pas complètement trompé les autorités françaises, mais elle a certainement troublé un certain nombre de lecteurs et facilité la circulation de ces ouvrages, qui ont assurément été imprimés et diffusés par des imprimeurs genevois.

Cette note ne vise pas à rejeter dans l’ombre les travaux récents consacrés aux Memoires, mais au contraire à y ajouter quelques précisions sur les conditions de leur diffusion.

ANNEXE

LES ÉDITIONS DES « MEMOIRES DE L’ESTAT DE FRANCE »

Première édition43

Premier vol.1576783 p.GLN 259023 ex.44
Premier vol.1577783 p. (même éd.)GLN 263318 ex.
Second vol.1576790 p.GLN 72375 ex.
Second vol.1577790 p. (même éd.)GLN 721934 ex.
Troisieme vol.1576410 p.GLN 72366 ex.
Troisieme vol.1577410 p. (même éd.)GLN 722136 ex.

Seconde édition (grands caractères)45

Premier vol.1578655 f. (Charles IX)GLN 718130 ex.
Premier vol.1578655 f. (même éd.) (Ch. neufiesme)GLN 267673 ex.
Second vol.1578630 f. (même éd.) (Ch. neufiesme)GLN 723174 ex.
Second vol.« 1628 »46630 f. (Charles IX)GLN 722022 ex.
Troisieme vol.1578494 f.GLN 722281 ex.

Seconde édition (petits caractères)47

Premier vol.1578475 f.GLN 267734 ex.
Premier vol.1579475 f. (même éd.)GLN 274421 ex.
Second vol.1578456 f.GLN 682327 ex.
Second vol.1579456 f. (même éd.)GLN 718322 ex.
Troisieme vol.1578357 f.GLN 722330 ex.
Troisieme vol.1579357 f. (même éd.)GLN 722428 ex.

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1 Études réunies par Olivier Pot, Genève, Droz, 2013 (« Travaux d’Humanisme et Renaissance », 514). Bibliographie dressée par O. Pot, pp. 543-549.

2 L. C. Jones, Simon Goulart, sa vie et son œuvre (1548-1628), Genève, Paris, 1916, pp. 475-479.

3 Théodore de Bèze, Du droit des magistrats, éd. R. M. Kingdon, Genève, 1971 (« Les classiques de la pensée politique », 7), pp. 76-78.

4 I. Jostock, La censure négociée. Le contrôle du livre à Genève, 1560-1625, Genève, Droz, 2007 (« Travaux d’Humanisme et Renaissance », 430), pp. 169-172.

5 C. Huchard, D’encre et de sang : Simon Goulart et la Saint-Barthélemy, Paris, Genève, 2007 (« Bibliothèque littéraire de la Renaissance », sér. 3, 69).

6 A. Graves-Monroe, Post tenebras lex. Preuves et propagande dans l’historiographie engagée de Simon Goulart (1543-1628), Genève, 2012 (« Travaux d’Humanisme et Renaissance », 499), pp. 105-170.

7 Ces « fantômes » sont signalés comme tels dans la base de données GLN 15-16, consacrée aux éditions imprimées en Suisse romande aux XVe et XVIe siècles (Genève, Lausanne, Neuchâtel) : http://www.ville-ge.ch/bge/gln/. Voir les notices GLN 7225, 7229, 7230, 7233, 7235.

8 Correspondance de Bonaventure Vulcanius pendant son séjour à Cologne, Genève et Bâle, éd. H. de Vries de Heekelingen, La Haye, 1923, p. 356.

9 Ibid., p. 366.

10 Die Messkataloge Georg Willers. Fastenmesse 1574 bis Herbstmesse 1580, Hildesheim, 1973 (« Die Messkataloge des sechszehnten Jahrhunderts », II), p. 206.

11 C. Huchard, D’encre et de sang..., ouvr. cité, pp. 579-593 ; A. Graves-Monroe, Post tenebras lex..., ouvr. cité, pp. 261-275.

12 Voir aussi J.-Fr. Gilmont, « Simon Goulart et ses imprimeurs », dans Simon Goulart, un pasteur..., ouvr. cité, pp. 261.

13 Les pièces principales sont citées par I. Jostock, La censure negociée..., ouvr. cité, pp. 169-172.

14 H. J. Bremme, Buchdrucker und Buchhändler zur Zeit der Glaubenskämpfe : Studien zur Gen-fer Druckgeschichte, 1565-1580, Genève, Droz, 1969 (« Travaux d’Humanisme et Renaissance », 104), pp. 183-185.

15 A. Graves-Monroe, Post tenebras lex..., ouvr. cité, pp. 105-106.

16 Lettre inédite, Genève, Musée Historique de la Réformation, Mss Ag 1.

17 Genève, Archives d’État, Registres du Conseil pour les affaires particulières, t. 20, p. 25 ; H. J. Bremme, Buchdrucker..., ouvr. cité, pp. 142-143.

18 Ibid., pp. 238-240.

19 Genève, Archives d’État, Registres du Conseil pour les affaires particulières, t. 20, pp. 90, 94, 98, 110.

20 La recherche a été menée avant tout dans la documentation réunie par Christophe Chazalon dans les annexes 2 et 3 de sa thèse inédite Les imprimeurs Jean de Laon actifs à Genève dans la seconde moitié du XVIe siècle, Genève, 2008.

21 Ibid., Annexe 2 ; Vignon, p. 49 (n° 66-02), 50 (n° 66-03).

22 A. Graves-Monroe, Post tenebras lex..., ouvr. cité, p. 106, note 4.

23 Sur le fonctionnement de l’imprimerie genevoise, voir par exemple J.-Fr. Gilmont, « La fabrication du livre dans la Genève de Calvin », dans Cinq siècles d’imprimerie genevoise. Actes du colloque international sur l’histoire de l’imprimerie et du livre à Genève, 27-30 avril 1978, éd. J.-D. Candaux et B. Lescaze, Genève, Société d’histoire et d’archéologie, 1980, pp. 89-96.

24 Lettre de Goulart à Simler, cf. L. C. Jones, Simon Goulart..., ouvr. cité, p. 348.

25 Ibid., p. 359.

26 Ibid., p. 356.

27 GLN 2676, f. *2r, GLN 7231, f. ¶2r = Chr. Chazalon, Les imprimeurs..., ouvr. cité, annexe 2, Vignon, p. 48 (n° 66-01).

28 GLN 7222, f. 2r = Chazalon, annexe 2, Vignon, p. 50 (n° 66-05).

29 GLN 2676, f. *2r = Chazalon, annexe 2, Vignon, p. 5 (n° 29-01).

30 GLN 2676, f. *8r, GLN 7231, f. ¶4r = Chazalon, annexe 2, Vignon, p. 58 (n° 44-01).

31 GLN 6823, f. *2r = Chazalon, annexe 3, Lettrines, p. 31, n° 22-01, n° 22-02, p. 36, n° 22/20-01.

32 GLN 7223, f. 2r = Chazalon, annexe 3, Bandeaux, p. 47.

33 GLN 2677, f. *2r = Chazalon, annexe 3, Bandeaux, p. 61 (n° 70-01).

34 GLN 2677, f. *8v ; GLN 6823, f. *8v = Chazalon, annexe 3, Fleurons, p. 22 (n° 30-01) ; GLN 7223, f. 357r, f. YY8r = Chazalon, annexe 3, Fleurons, p. 6 (n° 57-01).

35 GLN 7223, f. 2r = Chazalon, annexe 3, Lettrines, p. 52 (n° 17-01)

36 GLN 2677, f. 1r ; GLN 6823 f. *2r = Chazalon, annexe 3, Bandeaux, p. 63 (n° 69-01).

37 Henri et François : GLN 2677, f. *2r = Chazalon, annexe 3, Bandeaux, p. 61 (n° 70-01) ; François : GLN 2677, f. 1r = Chazalon, annexe 3, Lettrines, p. 19 (n° 31-01).

38 GLN 2677, f. 423v = Chazalon, annexe 3, Fleurons, p. 32 (n° 18-01)

39 R. Trinquet, « Montaigne et la divulgation du “Contr’un” », Revue d’histoire littéraire de la France, t. 64, 1964, p. 8-9.

40 L’arrêt est publié dans les Archives historiques du département de la Gironde, nouvelle série, t. 1 1933-1936, p. 52-53.

41 « Quod etiam obscurus sim, nomen meum reticui, partim ut meae vocationis prejudicio a lectione catholicos non deterrerem, partim quod privatorum negotiorum gratia forte in patriam aliquoties mihi erit eundum », L. C. Jones, Simon Goulart..., ouvr. cité, p. 348-349.

42 Ibid., p. 475-479.

43 Il n’y a pas de second volume daté de 1578 (GLN 7233) ou de 1579 (GLN 7229). Les ouvrages signalés ont des titres cartonnés ou ont été mal catalogués.

44 La liste des exemplaires est donnée dans la notice de GLN.

45 Il n’y a pas de premier volume daté de 1579 (GLN 7235). L’exemplaire signalé à une page de titre cartonnée.

46 « M. DC XXVIII. » Un exemplaire avec la date M. DI XXVIII. le DI corrigé à la plume en DC.

47 Il n’y a pas de premier volume daté de 1577 (GLN 7225). L’exemplaire signalé est hybride ; il réunit le premier cahier de la première édition et le corps du texte de l’édition en petits caractères. Il n’y a pas davantage d’édition datée de 1580 (GLN 7230). L’exemplaire signalé a une page de titre cartonnée.