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Les livres des maîtres de Sorbonne. Histoire et rayonnement du collège et de ses bibliothèques du XIIIe siècle à la Renaissance, dir. Claire Angotti, Gilbert Fournier, Donatella Nebbiai, préf. Jean-Philippe Genêt

Paris : Publications de la Sorbonne, 2017. 376 p., ill., ISBN 2-85944-993-0

Frédéric BARBIER

Les travaux présentés au cours du séminaire « Histoire des bibliothèques anciennes » organisé dans le cadre de l’Institut de recherche et d’histoire des textes en 2011-2012 sont publiés sous la forme d’un recueil de huit études consacrées à la bibliothèque du collège de Sorbonne dans un moment clé de son histoire. Nous considérons à part la neuvième contribution, qui propose une « bibliographie commentée » du sujet – ce que l’on appelait traditionnellement une « bibliographie critique ». Dès les premières lignes de la « Préface », Jean-Philippe Genêt articule la recherche en « histoire culturelle » avec l’histoire du livre, et nous ne pouvons bien évidemment que le suivre : de longue date, l’historien du livre a souscrit à la « déclaration d’indépendance » de l’esthétique à l’égard de la croyance ou de la foi, et « considéré toute œuvre de l’esprit comme le produit de son temps17 ». Le sous-titre précise le propos : il s’agit d’une histoire de la bibliothèque, et non pas directement d’une histoire du collège, et cette histoire s’appuiera surtout sur les « livres » en tant qu’ils en constituent la source principale.

Le volume s’organise en cinq « chapitres », dont le premier fait office d’introduction en rappelant « la place de la Sorbonne au cœur de l’institution collégiale » (Thierry Kouamé) : la présentation insiste sur les sources archivistiques, tandis que l’annexe donne les « références à la Sorbonne dans les statuts des collègues parisiens18 ». Le deuxième chapitre (le terme est peut-être moins adapté) est divisé en deux sous-chapitres : dans sa présentation longue et précise, Christopher Lucken revient sur le dossier de la Biblionomia de Richard de Fournival, en démontrant que, dans les années 1250, il s’agit à la fois d’une « cartographie idéale du savoir », d’une collection réelle de livres, toujours en construction, et d’un modèle de taxonomie. L’activité de Richard de Fournival dans ce domaine serait très probablement liée à sa charge de chancelier de la cathédrale d’Amiens (1240), alors même que son demi-frère en occupe le siège épiscopal. Puis Karine Klein, qui a consacré son travail de doctorat aux bibliothèques des « petits collèges » parisiens des xive et xve siècles, présente en perspective le cas du collège de Sorbonne par rapport aux bibliothèques des autres collèges séculiers de la capitale : l’article aborde un certain nombre de points relatifs à la bibliothéconomie (organisation matérielle et fonctionnement des bibliothèques), et insiste sur la prégnance du modèle donné par la Sorbonne.

Le troisième chapitre, « Développement des bibliothèques et pluralité des textes au collège », contient lui aussi deux articles, dont le premier est consacré par Gilbert Fournier aux commentaires sur l’Éthique à Nicomaque au collège de Sorbonne aux xive-xvie siècles (jusqu’au catalogue de la nova libraria en 1549). L’auteur reprend en partie les travaux de Zénon Kaluza, en s’efforçant de les préciser. Le travail de Marie-Laure Savoye porte sur un sujet intéressant tout particulièrement l’historien du livre et des bibliothèques, à savoir la place des « textes vernaculaires » dans la bibliothèque du collège : ces manuscrits sont bien évidemment très minoritaires, et ils sont en principe regroupés dans une série spéciale du cadre de classement – mais rangés dans les sous-séries thématiques s’il s’agit d’un texte en vernaculaire inséré dans un recueil en latin.

Le quatrième chapitre aborde la question des lecteurs, et il s’ouvre par une étude de Donatella Nebbiai sur Johannes Tinctoris (Tinctor). Celui-ci vient de Tournai, et il effectue son cursus universitaire à Cologne, où il est doyen de la faculté de théologie (1442) et recteur à plusieurs reprises, avant de rentrer dans sa patrie pour y occupe une prébende au chapitre de la cathédrale. Il décède à Tournai en 1469. Mais Tinctor entretient aussi des liens avec la Sorbonne, dont il est élu socius et dont il fréquente la bibliothèque en 1427-1429. D. Nebbiai démontre le rôle-clé rempli dans ces activités par la solidarité géographique, en l’occurrence entre tous ceux qui viennent des Flandres, et elle publie en annexe une « Liste des œuvres de Jean Tinctor », les extraits du registre du prêt où celui-ci apparaît et la « Liste des manuscrits conservés, consultés et possédés » par lui. C’est peu de dire que l’historien du livre est curieux de découvrir la contribution que Beat von Scarpatetti consacre à « Johannes Heynlin de Lapide (ca 1430-1496) « scolastique » et humaniste, bibliothécaire du collège de Sorbonne et recteur de l’université de Paris ». L’auteur est connue comme la spécialiste de Heynlin, auquel elle a consacré un certain nombre de travaux, et dont elle a reconstitué la bibliothèque : 283 volumes, dont « une soixantaine de manuscrits », ce qui témoigne d’un choix très remarquable, mais aussi de ressources financières importantes, Ce que confirmerait le fait que Heynlin « paye toujours le tarif maximum » lorsqu’il règle les droits d’inscription dans telle ou telle université. Même en l’absence d’informations décisives, l’auteur pense que Heynlin a pu, de Bâle, gagner pour un temps Mayence en 1465-1466, avant de rentrer à Paris en 1467 (p. 229).

Le dernier chapitre s’intitule : « Enquêter sur les collections de la Sorbonne », et il est constitué par une longue contribution de Claire Angotti (« Les manuscrits du collège de Sorbonne : une enquête codicologique », p. 245-341), outre la bibliographie critique signalée plus haut. Il s’agit d’une précieuse démonstration de la méthode de recherche qui, pour être appuyée sur le cas de la bibliothèque du collège de Sorbonne, n’en pourrait pas moins s’appliquer à nombre d’autres collections du tournant du Moyen Âge à l’époque moderne. L’auteur attire l’attention sur les différentes utilisations entre un terme et l’autre – libraria communis et magna libraria, ou encore cathenatus, cathenatur, cathenabitur, cathenetur, cathenandus (La logique veut que l’on distingue les adjectifs décrivant un état de fait des formes verbales renvoyant à une action à réaliser, p. 271-272), etc., sans oublier le détail des mentions de provenance et autres ex-libris. L’ouvrage se referme sur un index nominum et locorum, et par un index des sources manuscrites (manuscrits et documents d’archives) classé selon les institutions de conservation. Au total, donc, un précieux état des connaissances, qui semble particulièrement intéressant par les ouvertures qu’il offre dans le domaine de la bibliothéconomie. Nous regretterons simplement que la question du livre imprimée n’apparaisse que très ponctuellement, et que les précieuses reproductions soient pour un certain nombre d’entre elles d’une qualité technique… moyenne.

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17 Walter Mehring, La Bibliothèque perdue : autobiographie d’une culture, trad. Gilberte Marchegey, Paris, Les Belles Lettres, 2014 (Le goût des idées), p. 44.

18 Le choix a été fait par les éditeurs, de ne pas toujours donner la traduction des textes en latin.