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Doreen Zerbe (dir.), Wissensspeicher der Reformation. Die Marienbibliothek und die Bibliothek des Waisenhauses in Halle

Halle : Verlag der Franckeschen Stiftungen zu Halle ; Harrassowitz Verlag in Kommission, 2016 (Kataloge der Franckeschen Stiftungen ; 34). 248 p., ill.

Claire GANTET

Université de Fribourg, Suisse/Universität Freiburg, Schweiz

En 1524, Martin Luther mande les conseils de ville de fonder des écoles et des bibliothèques : pour instruire le peuple – garçons et filles –, il faut instituer des écoles générales et de bonnes collections de livres. En fondant la Marienbibliothek en 1552, la paroisse de la Marktkirche de Halle est la première à concrétiser cette injonction. La bibliothèque est d’emblée ouverte au public et, en tant que bibliothèque universitaire, fut intensivement fréquentée jusqu’au xixe siècle. De génération en génération, on y accumula des livres d’édification religieuse et d’instruction générale, des objets destinés à ancrer la mémoire du réformateur (ainsi son impressionnant masque funéraire, ou la chaussure de son successeur, Philippe Melanchthon), et des décors destinés à actualiser la présence du spiritus rector – ainsi la poupée grandeur nature de Luther, habillée et assise durant des siècles à une table.

Toujours à Halle et conformément au message luthérien, mais près de deux siècles plus tard, le pasteur piétiste August Hermann Francke (1663-1727) fonde des écoles et, en 1695, la bibliothèque de l’orphelinat, connue aujourd’hui sous le nom de Bibliothèque des Fondations Francke, pour conserver des livres (aussi dans un but éducatif), un cabinet de curiosités, la première société biblique attestée et une maison d’édition. Au gré de donations et d’héritages, elle devient l’une des plus grandes bibliothèques privées de l’époque moderne. Comme la Marienbibliothek, elle est d’emblée ouverte au public et rassemble quantité de textes, de lettres et d’images de Luther.

Organisée à l’occasion du 500e anniversaire de la Réforme, l’exposition dont nous avons ici le catalogue montre pour la première fois des fonds de ces deux bibliothèques et sonde les relations entre Réforme et éducation, entre confessionnalisation et conservation d’objets investis d’un caractère identitaire. Ce recueil comporte, outre un catalogue raisonné, trois importantes contributions : sur les bibliothèques comme expressions des réflexions contemporaines sur l’affermissement de la foi et la conservation du savoir (Helmut Zedelmaier), sur les phénomènes migratoires engendrés par la confessionnalisation (Thomas Müller Bahlke) et sur le caractère identitaire des objets conservés (Stefan Laube).

La Réforme est à Halle un produit de l’imprimé. Au début du xvie siècle, seuls les couvents possèdent des livres et le régent Albert de Brandebourg tente d’isoler ses territoires des nouvelles idées. C’est par l’imprimé et l’image gravée qu’elles parviennent dans la ville ; et l’introduction officielle de la Réforme, en 1541, est suivie par la fondation d’une première imprimerie. Même les propriétaires de bibliothèques privées – ainsi la famille von Selmenitz dont les fonds, incorporés à la Marienbibliothek, sont conservés –, entretenaient des liens personnels avec le réformateur.

La Marienbibliothek n’est pas seulement la première bibliothèque ecclésiastique protestante. C’est aussi l’une des premières à avoir été dotée d’un bâtiment propre, sous l’action du surintendant luthérien Johann Olearius (1546-1623), alors que les bibliothèques séparées et monofonctionnelles restent rares jusqu’au xixe siècle. Helmut Zedelmaier reconstruit avec érudition et finesse les liens entre les inspirations intellectuelles et les constellations religieuses et culturelles. Olearius traduit le texte de Luther en latin et fait imprimer un discours sur les bibliothèques au début du xviie siècle pour appeler au développement des fonds de la Marienbibliothek et les ouvrir aux textes de science. Pour lui, comme pour Martin Luther et son pendant catholique Antonio Possevino (Bibliotheca selecta, Rome, 1593), les bibliothèques servent la vérité dogmatique, l’ancrage de la foi et sa protection contre les hérésies. Mais pour Olearius comme pour le Zurichois Conrad Gesner (Bibliotheca universalis, 1545-1548), les bibliothèques servent aussi un dessein scientifique. Gesner a conçu son ouvrage comme un instrument bibliographique (alphabétique et thématique ou topique), un modèle pour l’élaboration de bibliothèques réelles et un inventaire pour mettre en réseaux lettrés et bibliothèques – d’où la revendication de leur ouverture aux savants. Le bâtiment de la bibliothèque des Fondations Francke, érigé en 1726-1728, est quant à lui le plus ancien bâtiment profane conservé construit spécifiquement pour abriter une bibliothèque. Les livres y étaient disposés, visibles, dans la salle – une autre spécificité, alors qu’au xixe siècle s’étendit le principe de la tripartition des bibliothèques (qui régit leur organisation jusqu’à nos jours) entre salle de lecture, magasins et bureaux d’administration, la plupart des livres disparurent dans des magasins invisibles au public. Tandis que Thomas Müller-Bahlke traite de la politique de publication de l’orphelinat piétiste de Halle au xviiie siècle, Stefan Laube montre que les bibliothèques de l’époque moderne sont aussi souvent des cabinets de curiosité ; aussi la Marienbibliothek exposait-elle des objets d’une forte valeur symbolique – le doute sur leur authenticité ne faisant qu’en renforcer l’attrait –, comme le masque funéraire de Luther, qui acquit un statut de quasi-momie, ou le témoignage sentimental de la chaussure de Melanchthon, sorte de relique (anti-catholique !).

Le catalogue proprement dit est lui-même enrichi de nombreux textes, notamment sur l’imprimerie et la possession de livres à Halle au début du xvie siècle, sur la bibliothèque privée de la famille von Selmenitz, sur le rôle identitaire des livres en situation de fuite et d’exil, et sur les images de Luther. De ce catalogue original et très informé, on retiendra enfin l’abondante illustration et le travail remarquable du photographe Klaus E. Göltz.