Book Title

Nicolangelo Scianna, Watermarked paper from archives in Ravenna (1287-1693)

Turnhout : Brepols, 2018 (Bibliologia. Elementa ad librorum studia pertinentia ; 43). 2 vol. (989 p.), ill.

Ilaria PASTROLIN

Centre Jean-Mabillon 
– École nationale des chartes – PSL

Les répertoires de filigranes les plus connus et utilisés encore aujourd’hui (Briquet, Piccard, Gaudriault, et toutes les bases de données accessibles en ligne à travers le site web du projet Bernstein The Memory of Paper) sont littéralement ce que leur nom indique : ils proposent des reproductions du filigrane isolé, sans donner une image complète de la feuille entière. Watermarked Paper from Archives in Ravenna (1287-1693) essaie de dépasser cette limite.

Conservateur-restaurateur du papier, titulaire d’un doctorat en Sciences biologiques, Nicolangelo Scianna (né en 1950) a construit un répertoire de filigranes original, fondé sur l’approche concrète et pragmatique de ceux qui ont l’habitude d’avancer par expérimentations et de travailler en laboratoire. Son choix s’est porté, tant par commodité logistique qu’en raison du prestige du fonds, sur les archives de la ville de Ravenne, siège de l’Exarchat d’Italie à l’époque byzantine, où Scianna a enseigné (Facoltà di Conservazione dei beni culturali) de 1994 à 2008. Les analyses ont eu lieu aux Archives épiscopales, communales et d’État, grâce à l’examen de documents de nature à la fois ecclésiastique et civile, datés entre 1250 et 1650.

L’ouvrage se divise en trois sections principales. Scianna propose d’abord un aperçu historique sur le papier en général et sur le fonds choisi, accompagné d’observations sur des thématiques spécifiques (les contremarques, la comparaison avec les livres imprimés, les filigranes jumeaux, etc.) et d’une présentation de sa méthode de travail. Suit un répertoire d’environ 3 000 images scannées de motifs de filigranes, organisées dans les grandes lignes selon les paramètres de l’Association Internationale des Historiens du Papier (IPH), mais aussi selon des catégories plus précises élaborés ad hoc. En cas de similitude avec des filigranes publiés dans d’autres répertoires, quoiqu’avec quelques dérogations, il adopte la catégorie descriptive utilisée dans les ouvrages respectifs de Charles-Moïse Briquet, Aurelio et Augusto Zonghi, V. A. Mošin et S. M. Tralić. Enfin, on trouve 641 reproductions à l’échelle de feuilles entières contenant les filigranes.

Le cœur de l’analyse de Scianna, annoncé dès le départ et plusieurs fois réaffirmé, qui trouve son couronnement dans la troisième section de l’ouvrage, c’est la recherche menée sur la feuille entière contenant le filigrane. Ce choix est pertinent, tant il est nécessaire de documenter les filigranes en les plaçant dans le contexte global créé par les pontuseaux et les vergeures, sans les séparer du paper stock dont ils font partie.

Après avoir décrit les trois fonds, expliqué les sigles adoptés et fourni la liste des documents analysés dans chacun d’eux, Scianna s’attarde sur les modalités de sa recherche. Considérant que les calques ne constituent pas la meilleure façon de documenter les filigranes, il se sert de différents instruments qu’il a lui-même conçus grâce à ses compétences de biologiste et restaurateur, afin de créer une reproduction précise : un scanner modifié à partir de la fine feuille lumineuse LEC Panel, pour obtenir des images en transparence ; un porosimètre capable de mesurer le temps pris par une certaine quantité d’air pour passer à travers la feuille ; un mesureur de transparence, composé d’un capteur qui relève et attribue une valeur à la quantité de lumière qui traverse la feuille ; un palpeur, instrument denté, capable de s’adapter aux différentes parties de la feuille pour en mesurer l’épaisseur. Outre les mesures de porosité, transparence et épaisseur, prises dans dix points différents de la feuille, Scianna relève aussi certaines mesures linéaires : les dimensions de la feuille, la distance entre les pontuseaux, la distance entre le filigrane et la marge de la feuille.

Ces données nourrissent deux types de record cards, qui comprennent aussi des observations concernant les mesures obtenues. Une première fiche concerne le document et la composition des cahiers qui contiennent le type de papier à analyser ; l’autre se concentre sur les caractéristiques spécifiques du papier filigrané. Les deux record cards ont été entièrement complétées pour les documents conservés aux Archives épiscopales ; pour les Archives communales et d’État, en revanche, puisque beaucoup de données n’étaient pas accessibles en raison des interventions de restauration subies par les documents, une version réduite de la seconde fiche a été appliquée.

Parallèlement au repérage des données, Scianna scanne puis traite les images obtenues avec Adobe Photoshop, en suivant différentes étapes. Après en avoir amélioré la qualité en créant du contraste, il coupe l’image afin qu’elle contienne seulement la marque et les chaînettes adjacentes. Cette version trouve sa place dans la deuxième section de l’ouvrage et, en même temps, elle est mise en comparaison avec les images de filigranes similaires déjà repérés dans un autre volume ou un autre fonds de Ravenne. Ensuite, grâce aux mesures relevées, Scianna crée une représentation à taille naturelle de la feuille entière (appelée bifolium, un peu improprement dans le contexte car la question du format n’est pas traitée), en incluant aussi les éventuelles contremarques. Ces reproductions donnent lieu à des modèles réduits à l’échelle 1:6, imprimables, qui constituent la troisième section de l’ouvrage, où ils sont présentés de façon à montrer le côté feutre, c’est-à-dire la feuille comme on l’aurait vue sur la forme sortie de la cuve, avant d’être renversée sur la pile.

À partir de l’analyse des cas concrets rencontrés, Scianna propose plusieurs conclusions, mentionnées dans le cours de l’ouvrage et reprises de façon globale à la fin. Il réfléchit ainsi sur la façon d’attribuer les dates au papier, sur les formes jumelles (qu’il suggère d’appeler « sœurs », sans tenir compte du fait qu’elles sont jumelles en raison de leur usage simultané à la cuve, et non pas pour avoir été conçues en même temps sur le même modèle), sur l’évolution de la forme et du filigrane, sur les modalités du travail à la cuve, sur la provenance du papier trouvé à Ravenne et sur l’histoire du commerce de papier dans la ville de l’Exarchat.

Un appendice final révèle un projet ultérieur : il s’agit du facsimile of materials, qui rend non seulement le motif du filigrane, mais aussi la consistance exacte du support matériel. L’idée est d’utiliser les imprimantes 3D, à partir d’une image scannée et en se servant comme guide des mesures relevées sur le papier, pour reproduire tous les éléments d’une ancienne forme, y compris sa structure originaire et ses dimensions, telles qu’elles apparaissent sur le papier. Il devient ainsi possible de reconstruire un fragment de papier neuf, ayant la même épaisseur que l’original, fabriqué avec des fibres de chanvre et de coton, et d’obtenir un instrument utile à la connaissance, la divulgation et la pédagogie.

Watermarked Paper from Archives in Ravenna (1287-1693) est un répertoire précis, soigné, bien documenté. Certes, quelques choix lexicaux et méthodologiques pourraient être discutés : outre les questions des « formes jumelles/sœurs » et « feuille/bifolium », la dénomination du côté feutre « mould side verso », à la place du plus simple et intuitif « felt side » ; d’autre part, la décision, d’ailleurs pas toujours applicable, de tourner les images pour montrer verticalement les signes alphabétiques utilisés comme contremarques, ou la discussion concernant les possibles cas de formes jumelles, qui risque de compliquer ce qui, en fait, est complexe surtout au niveau de l’explication verbale. Ensuite, par souci d’exhaustivité, il aurait été opportun de fournir un cadre plus complet en ce qui concerne le choix du côté à partir duquel la feuille entière est analysée, sujet de controverse parmi les filigranologues, certains en faveur du côté moule (Paul Needham), d’autres du côté feutre, d’autres encore (Neil Harris) d’une description du côté feutre mais en reproduisant les images du côté moule. Enfin, il s’avère que les contrôles croisés entre les filigranes repérés par Scianna et les répertoires préexistants n’ont pas pris en compte les relevés effectués par Gerhard Piccard (1909-1989), qui s’était pourtant rendu a à Ravenne où il avait tracé environ 470 motifs (d’après la base de données WZIS – Wasserzeichen-Informationssystem) ; par conséquent, il est possible que, dans quelques cas, Scianna ait repris des filigranes déjà répertoriés par Piccard. Cette vérification rapide et importante mettrait Watermarked Paper from Archives in Ravenna (1287-1693) à l’abri du risque, récurrent pour les auteurs de répertoire, de refaire ce qui a déjà été fait. Elle achèverait d’en faire ce qu’il est, à savoir un ouvrage de référence, tant sur le corpus qu’il traite que pour la méthodologie à appliquer à l’étude du papier.