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Jean Balsamo L’amorevolezza verso le cose Italiche, Le livre italien à Paris au XVIe siècle

Genève, Droz, 2015, 282 p. ISBN 978-2-600-01825-8

Amélie FERRIGNO

Paris

L’édition italienne du XVIe siècle est un vaste champ d’études qui mobilise de nombreux chercheurs dans la constitution de divers corpus. L’édition de livres en langue italienne imprimés hors d’Italie fait elle-même l’objet de nombreux travaux, notamment dans le cadre d’enquêtes actuellement menées sur la diffusion de l’édition italienne dans l’espace francophone (projet ANR EDITEF). À Paris, des échanges privilégiés se sont instaurés entre Italiens et Français, principalement à la Cour, où l’on assiste au développement d’un italianisme savant, artistique et littéraire dès François Ier. La Cour offre alors un terrain propice à une production italianisante variée, et dans le même temps tout à fait spécifique sur le plan éditorial. Pourtant, une parfaite intelligence de ce répertoire, ainsi que la description et l’analyse précises des livres en langue italienne imprimés à Paris au XVIe siècle, faisaient jusqu’à peu défaut.

Inscrit dans la continuité des travaux sur la présence italienne en France et l’élaboration de répertoires bibliographiques consacrés au livre italien du XVIe siècle, l’ouvrage de Jean Balsamo propose une étude du livre italien imprimé à Paris entre 1535 et 1611 (et à Tours de 1589 à 1594, lorsque Paris est aux mains des Ligueurs), à travers la production éditoriale des « Français italianisants », mais également des « Italiens français » que l’on retrouve dans l’entourage royal. Pour la première fois, cette production d’une centaine d’unités bibliographiques (109 éditions) est identifiée dans toute sa cohérence et décrite en détail. Ce travail a bénéficié du soutien du programme franco-allemand Eurolab, consacré à l’étude du développement et des confrontations des langues vernaculaires au début de l’époque moderne. Sa publication a été accompagnée par une exposition organisée à la Bibliothèque Mazarine, au printemps 2016.

Ciblé, très précis, le corpus rassemblé n’en est pas moins riche de nuances exposées dans l’étude qui précède le catalogue. L’Introduction au répertoire bibliographique (p. 11 à 44) permet au lecteur de s’approprier au mieux le corpus et fait état des principaux moments de l’édition en langue italienne à Paris, en rappelant à juste titre, que la production italianisante de ce siècle a été très inégalement étudiée, puisque contrairement aux traductions de l’italien en français, les œuvres italiennes produites en France ont suscité beaucoup moins d’intérêt. Jean Balsamo précise ainsi l’objet bien spécifique de ce volume : « mettre en évidence la cohérence et la singularité de cette production italianisante, ses nuances, à son époque, par rapport aux autres centres d’élaboration et de production et sa place à la fois dans la culture italienne de ses origines, mais aussi dans la culture française qui l’accueillait […] » (p. 15).

C’est donc à la fois d’une étude sur la production et la diffusion de l’édition en langue italienne hors d’Italie, et sur le livre en langue italienne dans le contexte privilégié de la cour de France dont il s’agit.

Dans les six parties qui composent l’Introduction, l’auteur définit les principales caractéristiques de l’italianisme parisien au moyen d’exemples choisis parmi les ouvrages les plus significatifs, qu’il replace dans leur contexte d’élaboration et de présentation (circonstances éditoriales, dédicataires, etc.). Il dépeint un riche tableau de l’activité littéraire menée par les Italiens de la cour de France. À travers la présentation des auteurs et des relations qui les liaient entre eux et à la cour, J. Balsamo fait apparaître les conditions dans lesquelles l’amorevolezza pour la langue italienne se développa à Paris durant cette période. Le livre italien édité à Paris au XVIe siècle est avant tout une production protégée par la cour et destinée à la cour, et résulte du développement de la pratique de la langue italienne auprès des courtisans français. L’apprentissage de la langue s’inscrivait dans un fort héritage culturel et littéraire (la tradition de protection accordée par les rois de France aux lettres italiennes, la célébration des classiques de la littérature italienne et la translatio studii), mais recouvrait également plusieurs fonctions. L’italien servait d’abord, au même titre que le latin et le français, à la célébration de la monarchie et de la cour, et à divertir les Princes ; il était jugé aussi agréable qu’« utile », pour la conversation, les échanges intellectuels, les relations commerciales. L’auteur expose ensuite les différents modes de diffusion de la langue italienne en dehors de l’Italie et les facteurs culturels, pratiques et politiques qui encouragèrent la production italianisante à Paris. Parmi les voies d’apprentissage, il souligne l’importance de la traduction, par laquelle se sont exprimées toutes les nuances de la production éditoriale italianisante – qui annoncent déjà, en grande partie, les différentes sections du catalogue – en distinguant les traductions de l’italien en français, des œuvres italiennes produites en France par des lettrés italiens ou celles produites par des Français italianisants.

Pour chacune des 109 éditions décrites, J. Balsamo produit une notice détaillée, avec transcription du titre, établissement des mentions de responsabilité, adresse, importance matérielle etc., complétée d’une présentation de l’œuvre éditée, des conditions de son édition, ainsi que d’une notice bio-bibliographique concernant la plupart des auteurs. Il indique également la localisation des exemplaires connus, et les provenances d’un certain nombre d’entre eux.

Le répertoire bibliographique, suivi d’une série d’annexes complémentaires, est constitué de cinq sections qui s’articulent naturellement selon la distinction des différents genres et formes de l’italianisme parisien de la Renaissance :

– Les livres en langue italienne dus à des auteurs italiens

– Les livres en langue italienne dus à des Français italianisants

– Les textes officiels en langue italienne accompagnés de leur traduction en français

– Des éditions bilingues, des traductions de l’italien avec le texte d’origine en regard

– Des livres en latin et en français dus à des auteurs italiens

À la lecture de l’étude qui précède le catalogue, on appréciera l’attention portée aux auteurs de la production italianisante parisienne, mais on pourra sans doute regretter une description un peu moins développée du cercle des imprimeurs-libraires à l’origine de cette édition, à l’exception de la figure d’Abel l’Angelier, présenté comme le seul libraire parisien à véritablement développer une politique éditoriale pour la langue italienne, et à qui J. Balsamo consacre un chapitre entier. Les motivations des imprimeur-libraires, leur intéressement, et la part que représentait l’édition en langue italienne dans leur production globale, auraient ainsi pu être davantage interrogé. Enfin, dans la grande rigueur démontrée à l’élaboration de ce répertoire, on pourra noter une légère confusion, relative au dédicataire des Stanze de Giovanni Andrea dell’Anguillara (1555) : le duc d’Anjou désigne Hercule de France, le dernier fils de Henri II et Catherine de Médicis, plutôt que le futur Henri III (p. 66).

Le livre en langue italienne ne représentait pas un marché très important de l’édition parisienne au XVIe siècle, mais il nourrit en profondeur la culture des élites, et la production littéraire de cour. Au-delà du statut d’ouvrage de référence qu’il a immédiatement acquis – à la fois répertoire bibliographique et ressource d’informations biographiques – le répertoire élaboré par Jean Balsamo constitue désormais, avec l’ensemble de ses travaux précédents, un socle fondamental pour l’étude de l’italianisme en France ; il offre un éclairage essentiel sur les fonctions que revêtit l’apprentissage de la langue italienne à la cour, tant sur le plan politique que sur celui des échanges intellectuels. En plus des éléments clés permettant de comprendre l’originalité de l’italianisme parisien, les données à caractère bio-bibliographique rassemblées apportent une contribution décisive à l’ensemble des études dédiées à la diffusion du livre italien (tout lieu d’édition confondu) dans l’espace francophone. Ce sont toutes ces qualités qui ont conduit à ce que le prix annuel de bibliographie lui soit décerné en avril 2016.